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Vers une normalisation de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental

Entré dans sa phase contemporaine en 1975, le conflit au Sahara occidental est, sans nul doute, l’un des plus anciens du monde. Cette année-là, l’Espagne se retire du « Sahara espagnol », comme il était ainsi nommé. Débute alors une lutte d’influence entre le Maroc et les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, la Mauritanie ayant abandonné ses revendications sur le territoire à la fin des années 70. Les deux camps se sont affrontés plusieurs années jusqu’à parvenir à un cessez-le-feu en 1991 établissant un statu quo autour d’une ligne de partage du territoire disputé. Si toute solution politique durable reste inexistante à l’heure actuelle, la réalité du terrain est différente, puisque le Maroc contrôle de facto 80% du territoire, dans la continuité de ses frontières internationalement reconnues. Le temps semble donc jouer en sa faveur, le Maroc déployant sa diplomatie ainsi que ses politiques de développement à long terme, poussant les consciences à l’acceptation.

Le Maroc ne cesse d’enchainer les victoires diplomatiques sur le dossier du Sahara occidental1. 59 États ont ainsi affirmé leur soutien au plan d’autonomie présenté par le royaume en 2007, qui prévoit une délégation limitée des pouvoirs à une autorité sahraouie, au sein des frontières marocaines2. Parmi eux, des soutiens de poids comme les États-Unis en 2020 – en échange d’une normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël – ou l’Espagne en 2022  – en pleine crise ouverte avec Rabat sur la gestion des flux migratoires. De l’autre côté, la République arabe sahraouie démocratique (RASD), proclamée par le Front Polisario en 1976, n'est plus reconnue que par une trentaine de pays membres de l’ONU, contre plus de 80 par le passé, signe d’un soutien en constante baisse3. En effet, voyant que le conflit peine à trouver une issue, beaucoup d’États reviennent vers une forme de realpolitik en préférant se rapprocher du Maroc, et des avantages attenants, plutôt que de soutenir une cause vaine. Davantage épargnée par les intérêts purement pécuniaires, l’Union africaine (UA) reconnaît la RASD, qui siège en tant que 55ème État membre4. C’est la raison pour laquelle le Maroc s’est exclu de l’organisation en 1984, avant de la réintégrer en 2017, voyant que sa stratégie n’était pas payante. S’il est un pays qui apporte un soutien inconditionnel à la RASD, c’est bien l’Algérie, meilleur ennemi du Maroc qui se pose en principal soutien financier et logistique du Front Polisario. La question du Sahara occidental est d’ailleurs l’une des causes avancées par l’Algérie pour justifier sa rupture diplomatique avec le Maroc en 2021.

Dans l’attente d’un statut officiel, le Sahara occidental se marocanise toujours plus, sous l’effet des politiques d’envergure déployées par le Maroc5. Si le territoire est inhospitalier et difficilement habitable, les petites cités d’antan se sont pourtant développées à vue d'œil, désormais équipées de tous les services et administrations nécessaires. L’exploitation des ressources s’y déroule tout à fait naturellement, notamment l’extraction du phosphate – le Sahara occidental en possède les plus grandes réserves mondiales connues à ce jour – et la pêche industrielle6. La population sahraouie, désormais marocanisée, se mêle aux Marocains du Nord venus investir les lieux. L’arabe marocain, le darija, semble maîtrisé par tous les citadins, éventuellement en sus de l’arabe hassanya, langue d’origine des Sahraouis, conservée par beaucoup de nomades de la région pour qui elle reste l’unique dialecte. Malgré les différences culturelles, la continuité territoriale est assurée entre le Maroc internationalement reconnu et le Sahara occidental, sans la moindre trace de frontière administrative, de sorte à donner le sentiment d’un seul et même pays, conformément à la doctrine marocaine. Au Sud du Sahara occidental, les postes-frontières marocains et mauritaniens restent séparés par un no man’s land de 5 km issu des accords de cessez-le-feu de 1991 avec le Front Polisario, dont l’État est reconnu par la Mauritanie. Néanmoins, les autorités marocaines surveillent de très près le territoire sahraoui et les flux qui y transitent, notamment les étrangers qui s’y rendent. Ainsi, il apparaît que les véhicules, y compris les transports en commun, circulant en direction du Sahara occidental après avoir passé les dernières grandes villes marocaines sont bien plus inspectés par les forces de sécurité que dans le reste du pays. Si le contrôle d’identité reste aléatoire pour les citoyens marocains, il est systématique pour les étrangers, pour qui il est préférable de fournir une photocopie de passeport et d’indiquer sa destination à chaque barrage routier. Les autorités transmettent ces indications aux acteurs locaux susceptibles de transporter, d’héberger ou de collaborer avec des étrangers.

Cela nous amène à nous interroger sur l’approbation de cette politique nationale par la population marocaine, dont les Sahraouis. Si les Marocains non sahraouis semblent acquis à la cause du royaume, les Marocains sahraouis sont davantage sceptiques, tout en acceptant la situation, les militants virulents ayant été emprisonnés ou ayant rejoint les rangs du Front Polisario de l’autre côté de la ligne de partage, le long des frontières algérienne et mauritanienne. Dans la région mauritanienne septentrionale de Zouerate, où vit une importante communauté sahraouie, mieux vaut ne pas se présenter comme marocain. Depuis 2020, une reprise contenue des hostilités a brisé le cessez-le-feu. Le Front Polisario entreprend à nouveau des attaques contre la présence marocaine au Sahara occidental, sans toutefois faire de dégâts importants, tandis que des affrontements sporadiques se déroulent de part et d’autre de la ligne de partage. Cette situation n’affecte en rien la présence marocaine sur la majorité du territoire. Le rôle de la MINURSO, la mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental, en est presque devenu symbolique. Présente depuis les accords de cessez-le-feu en 1991, la force onusienne voit cependant son mandat être renouvelé chaque année, afin de ne pas offrir de victoire au Maroc. Dans ses rapports de situation, le Secrétaire général de la MINURSO évoque des entraves aux activités de la mission7. Les conditions d’organisation d’un référendum sont toujours loin d’être atteintes, si bien que la MINURSO s’est dotée d'objectifs secondaires, comme le dialogue avec les protagonistes, le déminage de la zone, l'assistance aux réfugiés sahraouis, l’observation du respect des droits humains, le maintien du statu quo ou le recensement des atteintes au cessez-le-feu et des pertes humaines. Enfin, les individus sahraouis habitant le Sahara occidental sont dotés d’une carte d'identité sahraouie délivrée par la MINURSO, en sus de leur éventuelle carte d’identité marocaine.

Devant cette situation complexe dont l’issue peine à se dessiner, le Maroc apparaît gagnant sur le long terme. Le conflit, désormais de basse intensité, s’enlise et ne suscite plus l’intérêt des grandes tribunes. Quant à la France, elle ne s’est pas prononcée et suggère de suivre les résolutions onusiennes sur l’épineux dossier du Sahara occidental, ce qui n’améliore pas ses relations déjà compliquées avec Rabat.

Références :

  1. « Expliquez-moi… le Sahara occidental », Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), 2021 https://www.iris-france.org/163439-expliquez-moi-le-sahara-occidental/
  2. « L’Initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie de la région du Sahara », Site officiel du Royaume du Maroc https://www.maroc.ma/fr/system/files/documents_actualite/initiative_marocaine.pdf
  3. « La RASD semble devenir plus forte, mais elle s’affaiblit sur le plan diplomatique », Institute for Security Studies (ISS), 2022 https://issafrica.org/fr/iss-today/la-rasd-semble-devenir-plus-forte-mais-elle-saffaiblit-sur-le-plan-diplomatique
  4. « États membres », Union africaine https://au.int/fr/etats_membres/profiles
  5. « Nouveau modèle de développement pour les provinces du Sud », Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) du Royaume du Maroc, 2013 https://www.cese.ma/media/2020/10/Nouveau-mod%C3%A8le-de-d%C3%A9veloppement-pour-les-provinces-du-Sud.pdf
  6. « Si riche Sahara occidental », Le Monde diplomatique, 2014 https://www.monde-diplomatique.fr/2014/03/QUARANTE/50237
  7. « Report of the Secretary-General on the situation of Western Sahara S/2023/729 », United Nations Mission for the Referendum in Western Sahara (MINURSO), 2023 https://minurso.unmissions.org/sites/default/files/s-2023-729_-_sg_report_on_minurso_-_english.pdf

Vers une normalisation de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental

Tandis que le conflit, désormais de basse intensité, à l'œuvre au Sahara occidental depuis 1975 semble gelé et que la communauté internationale détourne le regard face à un dossier épineux, le Maroc enchaîne les succès diplomatiques et s’installe toujours plus sur le territoire disputé dont il contrôle 80% de la surface.
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