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Trump et la Corée du Nord : Continuité ou Changement Stratégique?

10/1/2025

Citer cet article (ISO-690) :
Léna FARGIER
,  
2025
,  
Trump et la Corée du Nord : Continuité ou Changement Stratégique?
,  
CEDIRE.

Un second mandat de Trump rendrait-il l'approche des États-Unis à l'égard de la Corée du Nord encore plus volatile ?

Le Dossier Nord-Coréen : Un Enjeu Historique Stratégique

La question nord-coréenne est une constante dans la politique étrangère des États-Unis depuis la guerre de Corée (1950-1953), qui s’est terminée par un armistice, mais pas par un traité de paix formel. La Corée du Nord a depuis construit une identité de résistance contre les « impérialistes » occidentaux, tout en renforçant progressivement ses capacités militaires. Le développement de son programme nucléaire, commencé dans les années 1950 pour assurer la survie du régime et dissuader toute intervention étrangère, est devenu une menace centrale pour la stabilité régionale et mondiale. 

Dans les années 1990, les premiers efforts diplomatiques visant à contenir ce programme ont abouti à des accords temporaires, notamment avec l’Accord-cadre de 1994 entre Pyongyang et l’administration Clinton (1). Cependant, cet accord s’est effondré au début des années 2000 sous la présidence de George W. Bush, qui a inscrit la Corée du Nord dans “l'Axe du Mal” et a mis fin à l’assistance énergétique prévue dans le cadre de l’accord (2). Depuis lors, la Corée du Nord a mené plusieurs essais nucléaires, ce qui a conduit à un isolement croissant du régime sur la scène internationale.

Sous la première présidence de Donald Trump, un tournant inattendu s’est produit avec la tenue de deux sommets historiques entre Trump et Kim Jong-un, respectivement à Singapour en 2018 et à Hanoï en 2019 (3). Ces rencontres marquaient une rupture avec les approches plus conventionnelles de ses prédécesseurs, mais elles n’ont finalement pas abouti à un accord durable sur la dénucléarisation. Si ces sommets ont permis de créer une opportunité de dialogue, la réalité sur le terrain est restée inchangée. Le sommet de Hanoï a échoué principalement en raison des sanctions, aggravées par la décision de Kim Jong-un de confier la diplomatie nucléaire à des commandants militaires décrits comme « inexpérimentés et désemparés »(4). Le 30 juin 2019, les deux dirigeants se sont rencontrés pour une troisième fois dans un lieu emblématique : Panmunjom, le seul point de rencontre de la zone démilitarisée entre les deux Corées. Sur l'invitation de Kim Jong-un, Donald Trump traverse la ligne de démarcation, devenant ainsi le premier président américain en exercice à entrer sur le territoire nord-coréen(5). Si ce geste symbolique a marqué l'histoire, de nombreux experts l'ont critiqué comme une grave erreur, estimant qu'il a conféré une légitimité internationale au régime de Kim Jong-un sans obtenir de concessions concrètes sur la dénucléarisation.(6) 

L’administration Biden, quant à elle, a privilégié une approche plus axée sur les alliances régionales, en renforçant les liens avec la Corée du Sud et le Japon pour contrer les ambitions nucléaires de Pyongyang. Cette stratégie repose essentiellement sur la dissuasion et la pression économique, mais elle n’a pas permis d’obtenir de résultats concrets en termes de désarmement. La Corée du Nord, de son côté, continue d’ignorer les appels à la négociation et a intensifié ses essais de missiles, notamment des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) capables d’atteindre le territoire américain (7).

Trump, réélu, est confronté à une situation délicate : la poursuite par la Corée du Nord de son programme nucléaire, malgré des décennies de sanctions et de pressions internationales. Le régime de Kim Jong-un a su s'adapter, notamment en développant des alliances stratégiques avec d' autres régimes autoritaires. Ces liens étroits avec des puissances rivales des États-Unis compliquent davantage la situation pour toute administration souhaitant réduire les tensions dans la région. Sous l'administration Biden, la stratégie de "dissuasion par alliances" a pris le dessus, avec un renforcement des relations trilatérales entre les États-Unis, la Corée du Sud et le Japon(8). La déclaration de Washington de 2023, visant à renforcer la dissuasion militaire vis-à-vis de Pyongyang, témoigne de cette approche. Cependant, cette stratégie n'a pas encore abouti à un changement fondamental du comportement nord-coréen. En 2017, la possibilité d'une guerre entre les États-Unis et la Corée du Nord semblait également imminente. Les déclarations belliqueuses de l'administration Trump, visant Pyongyang, ont marqué le début de sa présidence. Dans le cadre de sa stratégie de « pression maximale », Trump a menacé Kim, qu'il appelait "little rocket man", de « feu et de fureur comme le monde n'en a jamais vu » si la Corée du Nord poursuivait ses essais de missiles(9). Cependant, la rhétorique a rapidement changé, et la relation entre Trump et Kim a ensuite été comparée à une "bromance". Trump a souvent évoqué avec fierté les "love letters" qu'il recevait de Kim, reflétant un tournant spectaculaire dans leur dynamique diplomatique(10).

Certains experts estiment que Kim Jong-un, frustré par l'absence de progrès dans la normalisation des relations avec les États-Unis, semble déjà engager des actions provocatrices contre Séoul. Robert L. Carlin et Siegfried S. Hecker, spécialistes de la Corée, ont souligné en début d'année que "la situation dans la péninsule coréenne est plus dangereuse qu'elle ne l'a jamais été depuis le début du mois de juin 1950"(11).  

Un Retour à une Diplomatie de Haut Niveau avec un Focus sur le Dialogue

La réélection Donald Trump soulève des interrogations majeures sur la manière dont il pourrait aborder le dossier nord-coréen, dans un contexte international marqué par des tensions accrues en Asie du Nord-Est. Trump chercherait la dénucléarisation comme objectif ultime de la politique nord-coréenne(12). Cependant, le manque de volonté de Kim Jong-un à dénucléariser, combiné à la difficulté d'engager ce dernier, complique cet objectif. Contrairement à l’administration Biden, qui insiste sur une approche rigoureuse de non-prolifération et refuse toute reconnaissance implicite du statut nucléaire de la Corée du Nord, Trump pourrait privilégier une diplomatie « de haut niveau ». Celle-ci serait axée sur des rencontres directes avec Kim Jong-un (13). 

Cette approche, largement personnalisée, avait marqué son premier mandat. Trump, connu pour son style imprévisible, pourrait privilégier des accords limités, tels qu’un gel temporaire des essais nucléaires ou balistiques en échange de concessions économiques ou d’un allègement des sanctions. Cette stratégie, bien que pragmatique, viserait davantage à stabiliser temporairement la situation qu’à obtenir une dénucléarisation complète, objectif que Pyongyang a catégoriquement refusé jusqu’à présent (14). 

Plusieurs facteurs complexes compromettent la reprise du dialogue. Tout d'abord, Kim Jong-un, qui avait participé aux précédents sommets avec de grandes attentes, est ressorti sans obtenir les garanties économiques ou politiques espérées. Certains estiment même que, malgré une éventuelle volonté de Trump de renouer le dialogue, Kim pourrait refuser de collaborer, encore marqué par l'échec traumatisant du sommet de Hanoï(15). Cette expérience pourrait le rendre plus méfiant et inflexible, notamment face à des négociations axées sur des objectifs limités plutôt qu'un changement de paradigme diplomatique. Par ailleurs, un éventuel accord partiel pourrait inquiéter les alliés régionaux des États-Unis, comme la Corée du Sud et le Japon, qui y verraient une concession excessive à Pyongyang, risquant de saper la crédibilité des efforts internationaux de dissuasion(16). 

Les dynamiques régionales et mondiales compliquent davantage la situation. La Corée du Nord bénéficiant de soutien implicite de pays autoritaires, pourrait se sentir moins isolée qu’auparavant (17). Dans ce contexte, un retour au dialogue dépendrait non seulement de la volonté de Pyongyang, mais aussi de la capacité des États-Unis à présenter une stratégie cohérente et à convaincre ses alliés de son bien-fondé. Trump, s’il est réélu, héritera également de plans modernisés pour une éventuelle intervention militaire ou un changement de régime en Corée du Nord, développé sous son administration précédente(18), mais leur mise en œuvre reste hautement incertaine face aux conséquences potentiellement catastrophiques d’une escalade militaire.  

L'approche spectaculaire et personnalisée de Trump pourrait ne pas suffire à convaincre un Kim Jong-un plus prudent, qui est désormais mieux préparé à jouer de la dynamique internationale pour maintenir son programme nucléaire tout en évitant des concessions significatives. Ces éléments soulignent les incertitudes majeures entourant une possible reprise des négociations sous une administration Trump.

Les Alliances Régionales et la Perception de Fiabilité Américaine

Une réélection de Trump pourrait modifier cette stratégie axée sur les alliances, car il a souvent privilégié une approche unilatérale, mettant en avant des engagements bilatéraux plus flexibles ou réduisant les coûts des alliances pour les États-Unis (19). Il est envisageable que Trump réduise la présence militaire américaine en Corée du Sud ou suspende certains exercices militaires conjoints, des mesures qui pourraient plaire à Pyongyang mais risqueraient de déstabiliser les relations avec Séoul. Une telle réduction pourrait affaiblir la confiance de la Corée du Sud dans l'engagement américain, ravivant ainsi les discussions, bien que peu probables, sur le développement d’un arsenal nucléaire autonome(20). Certains analystes notent que cette incertitude pourrait encourager des voix à Séoul à envisager cette solution en cas de désengagement perçu de Washington.

L’approche unilatérale et transactionnelle de Trump pourrait également affecter l’unité des alliances trilatérales entre les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud (21). Contrairement à Biden, qui valorise une coopération multilatérale pour contrer la Corée du Nord et promouvoir la stabilité régionale, Trump pourrait se montrer plus flexible dans ses interactions directes avec Kim Jong-un. Cependant, une telle stratégie risquerait d’entraîner des compromis sur la sécurité collective qui fragiliseraient la solidarité régionale. Par ailleurs, les liens renforcés entre la Corée du Nord et la Russie offrent à Pyongyang des avantages stratégiques considérables. En échange de soutien militaire et économique comme en Ukraine, Moscou pourrait bloquer ou affaiblir les sanctions internationales, privant ainsi Washington d'un levier clé dans ses négociations avec Pyongyang (22). En parallèle, le Japon pourrait jouer un rôle stratégique dans les calculs de Kim Jong-un. Pour Kim, une rencontre avec le Premier ministre Fumio Kishida (23) serait l’occasion de négocier une aide économique en échange de concessions sur la question des citoyens japonais enlevés dans les années 1970 et 1980, une position qu’il pourrait infléchir pour obtenir des bénéfices financiers et politiques.

Enfin, la gestion des relations avec la Chine resterait un défi central pour Trump dans le dossier nord-coréen. La Chine voit la Corée du Nord comme un « tampon » stratégique contre la présence militaire américaine(24). Trump pourrait envisager des accords temporaires avec ces puissances pour contenir les ambitions de Pyongyang. Toutefois, la Chine, bien que se déclarant prête à coopérer, pourrait percevoir toute détente entre Washington et Pyongyang comme une tentative d’affaiblir son influence régionale(25). Les rivalités croissantes entre les États-Unis et la Chine compliqueraient également toute tentative de coopération. Contrairement à Biden, Trump pourrait se montrer plus enclin à offrir des concessions économiques ou politiques temporaires pour obtenir un soutien limité de Pékin, au risque de bouleverser l’équilibre stratégique en Asie de l’Est (26).

Conclusion 

 Le second mandat de Trump pourrait entraîner une diplomatie hybride envers la Corée du Nord, mêlant dialogues directs à une approche plus flexible de la dissuasion. Plutôt que de viser une dénucléarisation complète, Trump pourrait se contenter d’accords intermédiaires, comme un gel des essais nucléaires en échange de concessions économiques limitées, voire l’ouverture d’un bureau de liaison à Pyongyang pour faciliter les échanges diplomatiques.

Néanmoins, cette stratégie comporte des risques. Une réduction de la présence militaire américaine en Asie pourrait être perçue comme un affaiblissement par les Alliés régionaux, tels que la Corée du Sud et le Japon, et une reconnaissance implicite du statut nucléaire de la Corée du Nord pourrait fragiliser l’équilibre stratégique en Asie du Nord-Est. De plus, la Chine et la Russie, qui soutiennent modérément Pyongyang, pourraient interpréter un rapprochement américano-nord-coréen comme une tentative d’éroder leur influence régionale, complexifiant davantage la position des États-Unis.

Dans ce contexte, Trump devra faire preuve de prudence pour préserver la sécurité régionale, mais aussi négocier une entente avec Kim Jong-un. La réussite de cette politique dépendra de sa capacité à gérer les dynamiques stratégiques de l’Indo-Pacifique, à répondre aux attentes de ses alliés et à équilibrer les ambitions sécuritaires américaines avec les calculs stratégiques de Pyongyang.

  1. Davenport, Kelsey. 2022. "The U.S.-North Korean Agreed Framework at a Glance." Arms Control Association. 
  2. Ibid. 
  3. Christophe Gracieux "Sommet de Singapour : Rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-Un." 20 heures. Lumni, Ministère de l’Éducation Nationale
  4. Shin, Hyonhee. 2024. "Exclusive: North Korea Wants to Restart Nuclear Talks if Trump Wins, Says Ex-Diplomat." Reuters, August 1, 2024. 
  5. Christophe Gracieux "Sommet de Singapour : Rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-Un." 20 heures. Lumni, Ministère de l’Éducation Nationale
  6. Stallard-Blanchette, Katie. "Donald Trump’s North Korea Gambit: What Worked, What Didn’t, and What’s Next." Asia Dispatches: A Blog of the Indo-Pacific Program, November 26, 2020. 
  7. ​​Aqad, Somaya. 2024. "L'Essai d'un Missile Balistique Intercontinental Nord-Coréen Enregistre la Plus Longue Durée de Vol." Euro News. 31 octobre 2024. 
  8. Garamone, Jim. 2023. "Japan, South Korea, U.S. Strengthen Trilateral Cooperation." U.S. Department of Defense, August 18, 2023 
  9. Keneally, Meghan. 2018. "From 'Fire and Fury' to 'Rocket Man,' the Various Barbs Traded between Trump and Kim Jong Un." ABC News, June 12, 2018.  
  10. Pengelly, Martin. "Trump Papers Including Kim ‘Love Letters’ Retrieved from Mar-a-Lago." The Guardian, February 7, 2022. 
  11. Keneally, Meghan. 2018. "From 'Fire and Fury' to 'Rocket Man,' the Various Barbs Traded between Trump and Kim Jong Un." ABC News, June 12, 2018.  
  12. Kwak Yeon-soo. "Trump May Resume Direct Diplomacy with North Korea: Experts." The Korea Times, November 7, 2024. 
  13. Ibid. 
  14. Council on Foreign Relations. North Korean Nuclear Negotiations: 1985–2024. 
  15. Kwak Yeon-soo. "Trump May Resume Direct Diplomacy with North Korea: Experts." The Korea Times, November 7, 2024. 
  16. L.A. "Nucléaire : Kim Jong Un souhaite le retour de Donald Trump pour relancer les négociations, assure un ex-diplomate nord-coréen." Le Parisien, August 3, 
  17. Spohr, Frederic. "New Ties Between North Korea and Russia." Friedrich Naumann Foundation for Freedom, October 28, 2024.
  18. Rapp-Hooper, Mira. "Biden Administration's North Korea Policy." Center for Strategic and International Studies (CSIS), March 3, 2024. 
  19.  Baev, Pavel K., Vanda Felbab-Brown, Jeffrey Feltman, James Goldgeier, Samantha Gross, Ryan Hass, Mara Karlin, Patricia M. Kim, Lynn Kuok, Tanvi Madan, Suzanne Maloney, Alexander Noyes, Sophie Rutenbar, Natan Sachs, Mireya Solís, Constanze Stelzenmüller, Shibley Telhami, Valerie Wirtschafter, and Andrew Yeo. "How Is Trump’s Reelection Likely to Affect US Foreign Policy? Experts Weigh In." Brookings Institution, November 14, 2024. 
  20. Kwak Yeon-soo. "Trump May Resume Direct Diplomacy with North Korea: Experts." The Korea Times, November 7, 2024. 
  21. Le Corre, Philippe. "L'Asie attend Trump II avec fébrilité." Les Echos, November 19, 2024. 
  22. Shin, Hyonhee. 2024. "Exclusive: North Korea Wants to Restart Nuclear Talks if Trump Wins, Says Ex-Diplomat." Reuters, August 1, 2024. 
  23. Ibid.
  24. Fong, Clara, and Eleanor Albert. "The China-North Korea Relationship." Council on Foreign Relations. 7 mars 2024.
  25. Ibid.
  26. Tuye, Tran Thi Mong. "How Trump’s Return Affects Asia." Taipei Times, November 16, 2024. 

Trump et la Corée du Nord : Continuité ou Changement Stratégique?

Le second mandat de Donald Trump à la présidence des États-Unis suscite des interrogations sur la direction future de la politique américaine envers la Corée du Nord. Face à un régime toujours plus répressif et déterminé à maintenir sa posture nucléaire, les choix stratégiques des États-Unis pourraient-ils évoluer vers plus de volatilité ou suivre la ligne tracée lors de son premier mandat ? Cette question soulève des enjeux majeurs pour la sécurité et la stabilité de la région.
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