10/7/2024
Le 28 juillet 2024, la population vénézuélienne élira son président pour une durée de six ans. En lice, le président sortant Nicolás Maduro mais aussi Edmundo González Urrutia, qui est le mieux placé dans les sondages, avec près de 52% (1) d'intentions de vote à moins de trois semaines du scrutin. Toutefois, cette élection présidentielle soulève plusieurs questions : à quel point est-elle démocratique ? Quels sont les enjeux nationaux qui lui sont sous-jacents ? Quels acteurs extérieurs y sont liés ?
Situé au nord du continent sudaméricain, le Venezuela est un État de 28,3 millions (2) d’habitants, voisin de la Colombie et du Guyana, et borde le bassin caribéen. Doté de cet emplacement stratégique et de ressources pétrolières abondantes, le pays est aux mains du chavisme depuis 1999. En effet, cette année marque l’élection d’Hugo Chávez comme président du Venezuela, qui le restera jusqu’à sa mort en 2013. Cet homme politique a donné son nom au courant politique du « chavisme », qui se caractérise principalement par la volonté de mettre en place une “révolution bolivarienne” (3). Cela fait référence à Simón Bolívar, général vénézuélien et héros de la libération de l’Amérique latine face aux colonisateurs espagnols au début du XIXè siècle (4). Ainsi, le pays est rebaptisé la « République bolivarienne du Venezuela », quelques mois après l’accession de H. Chávez au pouvoir. Plus concrètement, le chavisme est considéré comme une version “renouvelée” du socialisme au début du XXIème siècle. En s’érigeant comme une alternative à la démocratie libérale et au néolibéralisme, ce courant politique s’appuie principalement sur une redistribution sociale des revenus pétroliers du pays. Pour instaurer cette justice sociale, l’État s’est appuyé sur la création de “conseils communaux” afin de permettre une participation plus importante de la société dans les affaires politiques. Sous la présidence d’H. Chávez, ce courant de gauche se caractérise également par plusieurs objectifs: la réduction de la pauvreté, la hausse du taux de scolarisation ou encore la hausse du PIB par habitant. Cette priorité donnée aux programmes sociaux sur le plan national s’accompagne d’un retour du Venezuela sur la scène internationale, marqué par l’anti-américanisme du président vénézuélien (5). À la mort de Chavez en 2013, Nicolás Maduro le remplace à la présidence du pays puis est réélu en 2018. Il s’apprête désormais à briguer un troisième mandat le 28 juillet 2024.
Après 25 ans de chavisme au pouvoir, il n’est pas certain que les électeurs reconduisent N. Maduro à la tête du pays. En effet, son gouvernement semble de plus en plus = impopulaire : selon un sondage Delphos de juillet 2023, « 85% de la population vénézuélienne » (6) souhaitent que N. Maduro ne soit pas réélu. Bien qu’il soit un héritier du chavisme, N. Maduro n’a pas bénéficié de la même popularité que son prédécesseur, autour de qui s’était construit un véritable culte de la personnalité (7). En effet, le Venezuela se trouve en situation de crise économique, qui s’est accentuée depuis 2019 avec le début des sanctions américaines à son encontre, mais qui s’est aussi caractérisée par une mauvaise gestion du secteur pétrolier de la part du gouvernement (8), qui est notamment dûe à la vente des devises de la compagnie PDVSA à la Banque centrale. Ainsi, cela a limité les investissements pour l’entretien des infrastructures, dont l’état s’est dégradé au fil du temps. De plus, la production de barils s’est effondrée car la compagnie pétrolière a participé au remboursement du déficit public, ce qui a fait augmenter sa propre dette. Cette baisse de popularité peut également s’expliquer par l’ensemble de mesures jugées anti-démocratiques mises en place par le gouvernement de N. Maduro pour conserver le pouvoir. Le pouvoir exécutif vénézuélien étant extrêmement puissant par rapport au Parlement ; ne plus avoir la main dessus reviendrait à perdre le contrôle du pays pour N. Maduro (9). Pour le conserver, ce dernier a entrepris une dure répression politique à l’encontre de ses opposants.
En effet, un rapport d’Amnesty International de septembre 2023 présenté au Comité des droits de l’homme des Nations unies indique que « les périodes préélectorales et électorales ont été directement liées à des pics de répression des droits […] » (10) de ceux qui sont considérés comme des opposants politiques. Depuis janvier 2024, 10 d’entre eux ont été emprisonnés, et 5 se sont réfugiés au sein de l’ambassade de l’Argentine à Caracas (11). Selon l’ONG Foro Penal, 288 opposants politiques étaient emprisonnés au Venezuela au 24 juin 2024. De plus, à l’approche de l’élection présidentielle, N. Maduro est accusé de choisir ses rivaux. Étant donné que l’élection se déroule sous la forme d’un scrutin uninominal majoritaire à un tour, le président n’a qu’une seule occasion pour convaincre le peuple vénézuélien de le réélire. Pour ce faire, beaucoup l’accusent de manipuler le paysage électoral depuis plusieurs mois, en empêchant ses adversaires politiques de se présenter, par exemple. Ce fut le cas le 26 janvier 2024, lorsque l’opposante libérale Maria Corina Machado a été déclarée « inéligible » (13) selon une décision de la Cour suprême du pays. Pourtant, en octobre dernier, cette candidate avait remporté la primaire de l’opposition, faisant d’elle la principale rivale de N. Maduro. Ce même stratagème d’écartement politique a également été utilisé à l’encontre de la successeure de M. Machado, Corina Yoris. Désormais, M. Machado apporte son soutien à Edmund González Urrutia, du parti Mesa de la Unidad Democrática, jusqu’alors inconnu du grand public.
Ces entorses à la démocratie sont pourtant en contradiction avec l’accord de la Barbade. Ce dernier, signé en octobre 2023 par le gouvernement vénézuélien, son opposition et plusieurs acteurs extérieurs comme les États-Unis, la France ou la Colombie, garantissait la tenue d’élections libres et démocratiques au Venezuela en 2024 (14). Cela impliquait alors la possibilité pour « chaque acteur politique de choisir son candidat pour les élections présidentielles de manière libre et conformément à ses mécanismes internes […] » (15). De plus, pour limiter les abus du gouvernement, cet accord prévoyait l’établissement de missions d’observation exercées par plusieurs acteurs extérieurs, comme l’Union européenne. Désormais, cette dernière n’est plus invitée à envoyer des observateurs pour l’élection, selon une décision du Conseil national électoral vénézuélien (16).
Comme évoqué précédemment, l’impopularité de N. Maduro peut s’expliquer par la politique économique qu’il a menée. Entre 2014 et 2019, la chute du prix du pétrole, le désinvestissement de l’État dans l’industrie pétrolière, les politiques macro-économiques impactantes du gouvernement ainsi que la généralisation de la corruption ont plongé le Venezuela dans l’une des plus graves crises économiques de son histoire moderne. De plus, l’inflation a augmenté, avec un taux historiquement haut en 2018 : entre 130.000% et 1.500.000% (17). Le PIB s’est également contracté de 65% entre 2013 et 2019. Cette situation économique a poussé à des vagues de contestation, comme en 2019, et à une émigration massive de la population : 7.7 millions (18) de vénézuéliens vivaient à l’étranger en août 2023. Cependant, quelques améliorations peuvent être soulignées : la production de pétrole est passée à 400.000 barils par jour en 2021 à 700.000 par jour en 2023, grâce à une campagne anti-corruption et à un changement de direction de la compagnie pétrolière nationale, la PDVSA (Petróleos de Venezuela SA) (19). En effet, après une enquête de la police anticorruption vénézuélienne, trois milliards de dollars auraient été détournés au sein de la compagnie, ce qui avait conduit à la démission du ministre du pétrole T. El Aissami. Malgré cela, les conditions économiques du Venezuela élèvent à 51.9% (20) le taux de la population en situation de pauvreté, selon une estimation de l’Instituto de Investigaciones Económicas y Sociales de l’UCAB.
Cette situation économique expose la population vénézuélienne à une dégradation de l’état sécuritaire du pays. En 2016, pour 100.000 habitants, 90 morts violentes étaient provoquées (21). En 2024, Caracas est considérée comme la deuxième ville la plus dangereuse au monde, selon le taux d’homicides pour 100.000 habitants (22). En 2023, 26 meurtres pour 100.000 habitants ont été commis en moyenne dans l’ensemble du pays, un taux divisé par 3 par rapport à 2016. Pour réduire ce taux de criminalité, N. Maduro a repris le contrôle sur le territoire national au moyen de campagnes violentes de l’armée et de la police, mais aussi de para-institutions, comme des groupes de guérilla colombiens (23).
Ainsi, une victoire à l’élection permettrait à l’opposition de s’inscrire en rupture avec le mouvement chaviste au pouvoir depuis plus de vingt ans. Pour Edmundo González Urrutia, accéder à la présidence du pays serait l’occasion d’instaurer une transition démocratique durable afin de permettre à toutes les forces politiques du pays d’exercer leurs droits en vertu de la Constitution. Concernant la sécurité, le candidat a assuré qu’il redonnerait à l’armée son rôle fondamental, celui d’un corps professionnel sans orientation politique.
Au-delà des enjeux internes à l’État, plusieurs défis liés à ses relations extérieures sont également au centre de la campagne présidentielle.
Cette élection présidentielle permet la mise en lumière des relations diplomatiques du Venezuela, tant sur le plan régional qu’international.
Déjà lors de la déclaration d’ ”inéligibilité” de la candidate M. Machado en janvier 2024, plusieurs acteurs extérieurs avaient condamné cette décision arbitraire, parmi lesquels l’Union Européenne, la France ou encore les États-Unis. En effet, ces mêmes acteurs étaient signataires de l’accord de la Barbade en octobre 2023 (24). Ce même accord avait conduit à l’allègement de certaines sanctions économiques américaines instaurées sous l’administration Trump, mais aussi à une réinsertion de l’industrie pétrolière et gazière vénézuélienne sur le marché américain pour une durée de six mois (25). Or, l’annulation de l’accord de la Barbade implique l’arrêt de ces mesures. Les États-Unis et le Venezuela ont toujours entretenu des relations bilatérales tendues, particulièrement depuis l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chávez en 1999. En effet, ce dernier a fait de l’anti-américanisme et de l’anti-impérialisme la pierre angulaire de sa diplomatie, refusant toute ingérence des États-Unis dans les affaires internes du pays. Dès 2002, les États-Unis ont soutenu les opposants d’H. Chávez dans le but de « promouvoir la démocratie » (26). Plus tard, plusieurs sanctions ont été imposées par plusieurs administrations américaines. Par exemple, la « Loi de défense des droits humains et de la société civile du Venezuela de 2014 » (27), sous l’administration Obama, visait à sanctionner des individus pour leur responsabilité dans la violation de droits humains durant les manifestations anti-gouvernementales de 2014, selon les États-Unis. Puis, en janvier 2019, l’administration Trump a sanctionné la PDVSA, privant alors le Venezuela de l’une de ses plus importantes sources de revenus (28). Cette sanction à l’encontre du pays socialiste visait également à reconnaître le leader de l’opposition, Juan Guaidó, comme « président par intérim », étant donné le caractère frauduleux de la réélection de N. Maduro l’année précédente, selon les États-Unis. Toutefois, après le début de l’invasion russe en Ukraine en février 2022, la plupart des démocraties occidentales qui s’approvisionnaient en pétrole russe ont été amenées à diversifier leurs importations afin de condamner l’agression de V. Poutine en réduisant leurs liens de dépendance avec la Russie. Ainsi, les États-Unis ont réduit leurs sanctions à l’égard de l’État socialiste et ont investi dans des sociétés pétrolières comme Chevron (29) pour remédier à la crise énergétique. Le 1er juillet 2024, N. Maduro a annoncé vouloir renouer le dialogue avec Washington, malgré la réimposition de ses sanctions en avril dernier. L’objectif de Maduro : préparer « un avenir pour les relations » entre les deux pays (30) et remettre à l’ordre du jour les négociations secrètes entamées entre les deux États en 2023, impliquant alors un échange de prisonniers.
D’autre part, en entretenant une relation bilatérale tendue avec les États-Unis, le Venezuela a été amené à créer des liens avec des États disposant de relations diplomatiques instables, voire rompues, avec Washington. Par exemple, la Chine est un allié traditionnel de Caracas et a apporté son soutien au pouvoir en place après la critique américaine de l’organisation de l’élection présidentielle. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian, avait expliqué ce soutien afin de respecter « l’indépendance nationale et souveraine du Venezuela » (31). L’hostilité commune à la puissance américaine a également renforcé les relations entre Caracas et Téhéran. De plus, l’Iran et le Venezuela sont tous deux membres de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole), ce qui a conduit les deux États à collaborer. En 2023, 19 accords de coopération (32) ont été signés, notamment sur la plan de l’industrie, de l’énergie et du secteur bancaire.
Au-delà de l’échelle internationale, N. Maduro a également évoqué les questions régionales durant sa campagne. En effet, il n’a pas hésité à afficher sa position vis-à-vis du conflit autour de l’Essequibo. Ce territoire riche en réserves pétrolières est revendiqué par le Venezuela et le Guyana voisin pour cette même raison depuis les années 1960. Par conséquent, N. Maduro a réutilisé cette revendication pour mobiliser son électorat et faire passer au second plan la candidature de son opposante M. Machado (33), qui ne peut pas adopter une position diamétralement opposée à N. Maduro sur cette question, sous peine de ne pas agir en fonction des intérêts nationaux. De plus, une réescalade militaire à la frontière entre le Venezuela et le Guyana pourrait être une stratégie électorale pour N. Maduro dans la mesure où elle pourrait conduire à un report de l’élection, à l’heure où une grande partie de la population réclamerait un “changement » du pouvoir en place (34).
Conclusion
Cette élection présidentielle semble alors témoigner d’une volonté de renouveau démocratique au Venezuela, comme le montre l’accord de la Barbade d’octobre 2023 qui visait à établir un scrutin libre et démocratique. Toutefois, les stratégies autoritaires de N. Maduro pour rester au pouvoir montrent que le pays reste en proie à une classe dirigeante guidée par la corruption, en partie responsable à l’état économique et sécuritaire du pays. Une grande partie de la population, elle, semble prête à se diriger aux urnes le 28 juillet 2024, après une importante mobilisation lors d’une « répétition générale » (35) de la présidentielle le 30 juin dernier.
https://www.amnesty.org/es/documents/amr53/7195/2023/es/