3/7/2024
26 juillet 2023 - 26 juillet 2024. Cela fera bientôt un an que le coup d'État renversant l’ancien président Mohamed Bazoum, démocratiquement élu en 2021, a été orchestré, plaçant ainsi le Niger sous régime militaire. Celui-ci a occasionné la fermeture des frontières terrestres et aériennes et a entraîné la suspension de certains programmes humanitaires dans le pays. L’ONU et plusieurs pays de la communauté internationale ont également suspendu leur aide au développement et leur appui budgétaire(1). Les relations régionales ont été également impactées par ce coup d'État. La communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), par la voie de son président en exercice, son excellence M. Bola Tinubu, Président du Nigeria avait ordonné un retour à l’ordre constitutionnel, menaçant d’avoir recours à “la force”(2) à la suite du coup d’État.
Depuis plusieurs années, le Niger est en proie à un conflit armé qui sévit dans certaines régions du pays telles que Tillabéry, Tahoua, Maradi et Diffa. La présence des rebelles dans ces différentes régions du pays limite l’accès des habitants aux activités agricoles. Plus de 100 villages agricoles ont dû abandonner leur terre pour cause d’insécurité grandissante. Selon le scénario le plus probable élaboré par la direction de la statistique de l’agriculture, les productions agricoles de 2023 seront d’environ 4.9 millions de tonnes soit une baisse de 18 pour cent (production de céréale) et 8 pour cent (culture de rente) respectivement par rapport à 2022 qui était 5 917 460 tonnes(3).
Les infrastructures essentielles à la production agricole sont détériorées, ce qui empêche le développement du secteur, principale source de revenus des populations rurales(4). Dans le même temps, les variations climatiques extrêmes (la répartition irrégulière des pluies, les sécheresses prolongées, les inondations soudaines, et les températures élevées) impactent la productivité agricole du pays. Globalement, ces difficultés entraînent une augmentation rapide des risques d’insécurité alimentaire auxquels le pays était déjà confronté(5).
Il est donc important de savoir quels rôles pourraient jouer les politiques et stratégies agricoles mises en œuvre par le Niger pour contrecarrer cette crise et garantir une sécurité alimentaire à sa population.
Avec une superficie de 1.267 millions de km2 et une population estimée à 26,2 millions d’habitants (en 2022)(6), le Niger est l’un des pays les plus vastes et des plus arides d’Afrique de l’Ouest. Il est caractérisé par un climat de type tropical semi-aride avec deux saisons : une saison pluvieuse qui s’étend de juin à septembre, avec un pic en août, et une longue saison sèche de huit à dix mois (qui s’étend d’octobre à mai). Les températures annuelles moyennes sont comprises entre 21,9°C à 36,4°C avec des valeurs plus élevées dans le sud du pays(7).
L’agriculture est la première activité des populations rurales ; elle occupe plus de 83% de la population active et participe à 40% du PIB du Niger. Les terres agricoles représentent 19 millions d’hectares, propices à l’agriculture pluviale et irriguée. Les terres pâturables avoisinent les 62 millions d’hectares soit 45% du territoire et constituent un potentiel exploitable suffisant pour garantir la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations et accroître significativement la contribution du secteur à l’économie du pays(8). De plus, En 2023, le Bureau de coordination des affaires humanitaires (UNOCHA) a rapporté que 4,3 millions de personnes, soit 17 % de la population, avaient besoin d'une assistance humanitaire au Niger, contre 3,7 millions en 2022, reflétant aussi la hausse du taux de pauvreté qui a atteint le seuil extrême de 52,0 % en 2023(9).
De 1960 à 2010, le pays a mis en œuvre plusieurs politiques et stratégies agricoles, pour faire face aux besoins d’une population qui ne cesse de croître au fil des années. Historiquement, ces politiques ont été formulées dans l’optique de redynamiser le secteur agricole et de le rendre plus polyvalent et attractif aux investissements nationaux et internationaux. On peut citer entre autres : la Promotion des coopérations paysannes mettant l’accent sur les cultures pluviales, la création des banques céréalières et des institutions de crédit agricoles (1960- 1973)(10). La formulation de stratégie de développement axée sur l’autosuffisance alimentaire à travers la création de plusieurs structures d’appui à la production locale comme l’Office National des Aménagements Hydro-Agricoles (ONAHA) et l’Institut National de Recherche Agronomique du Niger (INRAN), a aussi été développée durant la même période.
Entre 1974 et 1984, le renforcement du Crédit Agricole et les subventions aux intrants agricoles furent mis en place pour poursuivre l’objectif visé : la hausse des rendements et de la production. Mais très vite, cette dynamique s’est heurtée à un certain nombre d’obstacles : l’accroissement de la population, la période de grande sécheresse de 1984 (qui provoque une baisse des rendements agricoles) ou encore l’accroissement de la vulnérabilité du territoire aux aléas climatiques. Cela a conduit à revoir les priorités, toujours dans l’optique d’assurer l’autosuffisance alimentaire aux populations nigériennes(11). De 1984 à 2000, le programme d’ajustement structurel (PAS) et l’émergence du concept de sécurité alimentaire ont appelé à une limitation du rôle de l’État dans le secteur agricole. À ce titre, les institutions publics tel que ONAHA, INRAN, ont cédé la place à des structures privées dynamiques, tournées vers les marchés internationaux dans l’approvisionnement des marchés locaux en produits alimentaires. Rapidement, la libéralisation et le désengagement de l’État impactent la productivité de l’agriculture de subsistance et des populations dont le pouvoir d’achat reste limité, ce qui place toujours le pays dans une position d’instabilité alimentaire(12).
À partir des années 2000, mais plus précisément en 2003, une Stratégie de développement rural (SDR) est élaborée pour préciser les orientations de la politique de réduction de la pauvreté dans le secteur rural. Plusieurs études d’organisations internationales (FAO, UNCEF, CILSS) ainsi que quelques chercheurs avaient en effet relié la hausse de l’insécurité alimentaire au problème de la pauvreté dans le pays. La mise en place de cette stratégie entraînera une gestion concertée entre État, organisation internationale et société civile dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques agricoles. Mais celle-ci a très vite présenté ses limites au travers des périodes de sécheresse de 2005, 2008 et 2010 enregistrées au Niger(13).
Depuis 2011, l’Initiative 3N (Les Nigériens Nourrissent les Nigériens), remplace la SDR. Elle représente l’outil de mise en œuvre de la politique du secteur SANDAD (Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle, Développement Agricole et Durable), et s’inscrit dans les priorités du Gouvernement ainsi que les engagements internationaux auquel le pays a souscrit dans les domaines du développement agricole, de la sécurité alimentaire, de la nutrition, du développement durable, de l’adaptation au changement climatique. Parmi ses engagements, on peut citer entre autre :
L’initiative 3N est coordonnée par une institution multisectorielle directement rattachée à la présidence et dotée d’un réel pouvoir d’action interministériel : le Haut-Commissariat à l’initiative 3N (HC3N(14).
Au cours de ces dix dernières années, l’exécution des différents plans d’actions dans le cadre de l’initiative 3N, ont permis d’enregistrer d’importants progrès tels que :
En 2024, le Conseil National de Sauvegarde de la Patrie (CNSP) dirigé par le Chef de Brigade, le Général Abdourahamane Tiani et son gouvernement de tutelle, ont mis en œuvre le Programme de Résilience pour la Sauvegarde de la Patrie (PRSP) 2024-2026. Au travers de ce programme, un Programme Grande Irrigation (PGI) a été lancé le 20 mars 2024(16).
Ce programme initié par le Ministère de l’Agriculture et de l’Élevage au travers de l’Office National des Aménagements Hydro-Agricoles (ONAHA), vise à transformer le secteur agricole pour assurer une sécurité alimentaire durable et favoriser le développement économique. Il prévoit notamment la réhabilitation et l’aménagement des milliers d’hectares de périmètres irrigués, ainsi que l’intensification des cultures irriguées tel que le riz, le maïs, et le blé sur 39 700 hectares qui sont des produits largement importés depuis des années. À cet effet, le régime ambitionne de doubler les superficies sous grande irrigation par la réhabilitation de 3700 hectares de périmètres existants et l’aménagement de 21 200 hectares de nouveaux périmètres irrigués. Ce programme prévoit également de rendre l’accès facile aux eaux d’irrigation sur les aménagements hydroagricoles, et la mise à disposition des intrants agricoles de qualité, et la mise en place des unités de conservation et de transformation des produits agricoles.
Le Niger est un vaste pays continental de l’Afrique de l’Ouest situé dans le Sahel qui, au fil des années, a su développer un nombre important de stratégies et politiques agricoles afin de garantir la sécurité alimentaire à sa population. La réussite dans la mise à exécution de ses politiques permettra d’apporter une valeur ajoutée à la production. Si dans les années antérieures, l’initiative 3N a semblé recueillir l’adhésion de toutes les parties prenantes, plusieurs paradoxes font surgir des interrogations et laissent entrevoir une certaine réticence au niveau des organisations paysannes et de la société civile telles que : le décalage entre un discours en faveur de l’agriculture familiale et des initiatives récentes qui semblent privilégier des acteurs industriels (agropoles) et des pratiques d’accaparement des terres (ranching), l’absence de politique globale et multisectorielle occultant le rôle de certains ministères et en laissant parfois les enjeux de court terme (relevant de l’urgence et de la prévention des crises) prendre le dessus sur les agendas de plus long terme.
Suite aux ambiguïtés et aux incertitudes autour des actions de l’initiatives 3N, le nouveau régime en place a mis en œuvre son programme agricole en vue de soulager les populations en proie aux fluctuations des prix des denrées de première nécessité. Ce programme montre la volonté du gouvernement du Niger d’accorder sa priorité au développement rural et d’améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des Nigériens en : i) maintenant un effort croissant et continu en matière de financement des investissements pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle et le développement agricole ; ii) assurant une gouvernance et une coordination efficaces du secteur agricole pour en maximiser les résultats et atteindre d’ici 2035, les Objectifs de Développement Durable (ODD) et plus précisément l’ODD 2 “Zéro Faim”.