9/6/2024
Le 5 avril 2024, la police équatorienne pénétrait de force au sein de l’ambassade mexicaine à Quito, la capitale du pays. L’objectif de cette opération était de capturer l’ex-vice-président Jorge Glas, visé par un mandat d’arrêt pour corruption. Or, au regard du droit international, cette intrusion porte atteinte à l’inviolabilité des locaux et du personnel diplomatiques, notamment protégés par la Convention de Vienne de 1954. Ainsi, en quoi cet incident diplomatique est-il inédit ? Comment s’inscrit-il dans un contexte de tensions entre l’Équateur et le Mexique ? Quelles problématiques soulève-t-il au regard du droit international ? Quelles dynamiques géopolitiques peut-il modifier au niveau régional ?
Historiquement, les deux États ont normalisé leurs relations diplomatiques dès 1830 (1), date à laquelle l’Équateur obtint son indépendance. En 1837, l’État mexicain ouvre un consulat à Guayaquil, ce qui deviendra alors la première mission diplomatique du pays en Équateur. Au fil des années, les relations entre les deux États se sont caractérisées par plusieurs visites d’État, comme celle du président mexicain Luis Echeverría en 1974, ou celle du président équatorien Rafael Correa en 2014 (2). De plus, les deux États ont renforcé leurs relations par l’établissement d’accords bilatéraux dans plusieurs domaines. Par exemple, l’accord relatif aux services aériens entre le Mexique et l’Équateur (3) permet d’octroyer des droits particuliers sur un territoire à l’autre partie contractante. Sur le plan commercial, les deux États sont des partenaires de second plan. En effet, pour l’année 2023, l’Équateur constituait 0.038% des importations du Mexique, correspondant à 228 millions de dollars (4). À l’inverse, 0.1% des exportations du Mexique étaient dirigées vers l’Équateur pour cette même année. Ainsi, ces données permettent de montrer que les relations commerciales entre les deux États sont restées très limitées. Pour autant, cela n’a pas empêché Quito et Mexico d’établir des relations cordiales, et ce depuis le XIXè siècle.
Avant le raid du 5 avril 2024, plusieurs évènements avaient pourtant commencé à entacher cette bonne entente diplomatique. En effet, à l’occasion d’une conférence de presse se tenant le 3 avril 2024, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador avait commenté l’issue des élections présidentielles équatoriennes de 2023 (7). À ce propos, ce dernier avait alors considéré que la victoire de l’actuel président Daniel Noboa était en partie due à l’assassinat du candidat anticorruption Fernando Villavicencio en août dernier (ce dernier avait notamment permis, grâce à l’une de ses enquêtes, d’accuser l’ancien président R. Correa). Par conséquent, toujours selon le président mexicain, cet évènement aurait empêché la victoire de la candidate pro-Correa Luisa González, pourtant initialement favorite face à D. Noboa. En effet, à la suite de l’assassinat de F. Villavicencio, D. Noboa aurait instrumentalisé la peur engendrée par cet évènement en instaurant un climat électoral marqué par la violence, notamment en se présentant aux débats télévisés vêtu d’un gilet pare-balles. Selon le président mexicain, ce changement du panorama électoral aurait fait chuter la candidate pro-Correa L. González dans les sondages. À la suite de ces déclarations, le président équatorien Noboa avait exigé la non-intervention de l’État mexicain dans les affaires internes de l’Équateur. Il avait aussi déclaré persona non grata (8) (littéralement : « personne n’étant pas la bienvenue ») l’ambassadrice mexicaine à Quito, Raquel Serur Smeke, en invoquant l’article 9 de la Convention de Vienne de 1961. Selon ce traité international régissant les relations diplomatiques entre les États, la personne mise en cause « mettra fin à ses fonctions auprès de la mission » (9). C’est dans ce contexte tendu que le raid de la police équatorienne au sein de l’ambassade mexicaine à Quito le 5 avril 2024 s’est déroulé.
Officiellement, ce raid avait pour objectif de capturer Jorge Glas, homme politique équatorien, qui fut notamment le vice-président de Rafael Correa entre 2013 et 2017, puis celui de Lenín Moreno entre mai et octobre 2017 (5). Dès cette même année, J. Glas avait été condamné à huit ans de prison pour « corruption » après avoir reçu des pots-de-vin de la part de l’entreprise brésilienne Odebrecht (6). Cependant, il n’avait purgé que la moitié de sa peine, et avait regagné sa liberté dès novembre 2022. Toutefois, depuis décembre 2023, J. Glas avait trouvé refuge au sein de l’ambassade mexicaine à Quito, alors qu’un mandat d’arrêt préventif venait d’être prononcé à son encontre pour « détournements de fonds » (10). En s’y réfugiant, J. Glas avait demandé l’asile au Mexique en se positionnant comme victime de lawfare (11), une pratique judiciaire de la part du pouvoir en place pour persécuter ses opposants politiques. Il avait alors obtenu l’asile le 5 avril 2024, alors que les relations diplomatiques entre le Mexique et l’Équateur étaient au plus bas. Cette décision avait alors poussé les autorités équatoriennes à passer à l’action. Toutefois, au-delà des divisions politiques, il est nécessaire d’adopter le prisme du droit international pour comprendre cet évènement.
L’intrusion de la police équatorienne au sein de l’ambassade mexicaine à Quito constitue, selon le gouvernement mexicain, une « violation très grave du droit international » (12). En effet, conformément à l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, les « locaux de la mission sont inviolables. Il n’est pas permis aux agents de l’État accréditaire (ici l’Équateur) d’y pénétrer, sauf avec le consentement du chef de la mission » (13). Ainsi, l’ambassade mexicaine de Quito ne peut pas faire l’objet d’intrusion de la part d’un agent du pays dans laquelle elle se situe. En ratifiant ce texte successivement en 1964 et 1965, l’Équateur et le Mexique se sont engagés à ne pas invoquer des lois nationales qui pourraient contredire les règles énoncées par ce traité (14). De plus, ce raid viole également les principes mentionnés dans le pacte de Bogota de 1948 (ou Traité américain de règlement pacifique). En effet, selon l’article 1 du chapitre premier, les parties contractantes ne doivent pas recourir à la force « ou à n’importe quel autre moyen de coercition pour régler leurs différends […] » (15). Enfin, les principes de la Charte des Nations unies de 1945 ont également été enfreints : l’article 2 impose à ses membres de régler « leurs différends internationaux par des moyens pacifiques » (16). Après cette violation du droit international de la part de l’Équateur, le Mexique décida de rompre ses relations diplomatiques avec ce dernier dès le 7 avril 2024, en rapatriant l’intégralité du personnel de l’ambassade. Par la suite, le Mexique décida également de saisir la Cour internationale de Justice. Cet organe judiciaire des Nations Unies vise à régler les différends juridiques soumis par les États. Ainsi, le 11 avril 2024, le Mexique a déposé une requête introductive d’instance contre l’Équateur auprès de la Cour internationale de justice, assortie d’une demande en indication de mesures conservatoires (17). Cela signifie que l’État mexicain, en raison du déploiement des forces spéciales équatoriennes au sein de son ambassade à Quito, exige des sanctions à l’encontre de l’État équatorien. La sanction principale demandée par le Mexique est de « suspendre l’Équateur en tant que membre des Nations unies » (18), jusqu’à ce que des excuses publiques soient présentées envers l’État mexicain. De son côté, l’Équateur a également déposé une requête contre le Mexique auprès de la CIJ, en accusant l’État mexicain de violations d’ « une série d’obligations internationales » (19), notamment pour avoir accordé l’asile à J. Glas. En effet, pour l’Équateur, ce dernier ne peut prétendre au statut de réfugié politique s’il fait l’objet d’un ordre d’arrestation.
Conformément à l’article III de la Convention de Caracas (1954), « il n’est pas permis de donner asile à des personnes qui, au moment de le demander, sont inculpées ou poursuivies pour des délits de droit commun ou qui ont été condamnées par des tribunaux ordinaires compétents […] » (20). L’Équateur s’appuie alors sur cet article. Or, le gouvernement mexicain s’appuie sur l’article IV de ce texte, selon lequel « il appartient à l’Etat qui accorde l’asile de qualifier la nature du délit ou de juger des motifs de la poursuite […] » (21). Dans ce cas-là, le Mexique est l’État qui accorde l’asile, donc l’État dont la décision d’accorder l’asile doit être respectée par l’Équateur.
Cette question du droit d’asile des réfugiés politiques s’est déjà posée à de multiples reprises. Par exemple, le fondateur de WikiLeaks Julian Assange s’était réfugié au sein de l’ambassade d’Équateur à Londres entre 2012 et 2019 afin d’échapper à un mandat d’arrêt britannique pour des accusations de viols en Suède (22). Ce fut également le cas de l’ex-ministre des Transports et des Travaux Publics équatorienne, María de los Ángeles Duarte, qui avait trouvé refuge au sein de l’ambassade d’Argentine à Quito afin d’échapper à une sentence de 8 ans de prison pour une affaire de corruption (23). Par leur caractère violent, ces violations du droit international de la part de l’Équateur ont donc provoqué une réaction ferme de la part du Mexique, mais aussi une réaction régionale et internationale.
Au niveau bilatéral, le Mexique a réagi immédiatement en rapatriant l’intégralité de son personnel diplomatique encore en exercice en Équateur. De plus, l’incident diplomatique a bloqué toute avancée vers l’intégration de l’Équateur au sein de l’Alliance du Pacifique en tant que membre à part entière. Créée en 2011, il s’agit d’une communauté économique régionale regroupant le Chili, la Colombie, le Pérou et le Mexique. Or, pour l’intégrer, l’Équateur doit notamment établir un traité de libre-échange avec l’État mexicain (24), avec qui les relations diplomatiques sont rompues depuis le 7 avril 2024. Compte tenu de ce divorce diplomatique, une meilleure intégration régionale de l’Équateur est compromise, mettant fin à des négociations débutées fin 2021.
Au niveau régional, le Nicaragua a également annoncé rompre ses relations diplomatiques avec l’Équateur à la suite du raid de la police au sein de l’ambassade mexicaine. Déjà, depuis septembre 2020, le Nicaragua avait retiré son ambassade au sein de la capitale équatorienne ; mais depuis le 6 avril 2024, les relations entre les deux États sont officiellement rompues. Par ailleurs, plusieurs États latinoaméricains, à travers des déclarations de leurs chefs d’État, ont condamné le raid opéré par l’Équateur : le Brésil, l’Argentine, le Chili, la Bolivie, la Colombie, le Venezuela, le Honduras, le Guatemala et Cuba. De manière plus concertée, le CELAC (Communauté d’États latino-américains et caraïbes) a également condamné l’opération policière de l’Équateur au cours d’une réunion le 17 avril 2024, durant laquelle le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a appelé ses homologues à soutenir sa requête introductive d’instance devant la Cour de justice internationale. Enfin, l’OEA (Organisation des États américains), un organisme panaméricain regroupant tous les gouvernements du continent (à l’exception de Cuba) créé en 1948, a également condamné le raid équatorien à travers une résolution. En effet, la résolution 1253 du 11 avril 2024 exhorte également « l’Équateur et le Mexique à entreprendre un dialogue et à prendre des mesures immédiates pour résoudre cette grave question […] » (25). L’Union européenne a également condamné l’action de l’Équateur en déclarant dès le 7 avril 2024 que « la protection de l’intégrité des missions diplomatiques et de son personnel est fondamentale » (26) pour préserver un ordre international stabilisé. Les États-Unis, quant à eux, ont adopté une position assez neutre en encourageant les parties « à résoudre leurs différends dans le respect des normes internationales » (27).
Compte tenu des signaux négatifs ayant affecté la diplomatie équatorienne, l’Équateur risque aussi de subir des effets sur le plan économique. En effet, en 2021, 23,98% (28) des exportations équatoriennes étaient dirigées vers les États-Unis, faisant de Washington le premier partenaire commercial du pays sur le plan des exportations. Les États-Unis n’ont pas manifesté leur intention de rompre leurs relations commerciales avec l’Équateur à la suite de cet incident avec le Mexique. Cependant, en 2021, 6.98% (29) des importations équatoriennes provenaient de Colombie, faisant de ce dernier le 3ème partenaire de l’Équateur sur le plan des importations cette année-là. En ayant initié la résolution de l’OEA à l’encontre de l’Équateur, la Colombie pourrait, contrairement aux États-Unis, fortement influencer l’économie équatorienne si elle venait à diversifier ses exportations.
Le 23 mai 2024, la Cour internationale de justice se prononçait sur la demande de mesures d’urgence de la part du Mexique à l’encontre de l’Équateur. À travers son ordonnance (30), la CIJ conclut que les conditions ne sont pas réunies pour « indiquer des mesures conservatoires » à l’encontre de l’Équateur. Malgré cela, ce dernier a assuré qu’il avait pris connaissance de ces mesures et qu’il s’engagerait à respecter l’inviolabilité diplomatique à l’avenir. De plus, le 28 mai 2024, la ministre des Affaires étrangères de l’Équateur Gabriela Sommerfeld a déclaré que son pays était « prêt » (31) à reprendre les discussions avec le gouvernement mexicain, avec la libération de Jorge Glas comme condition non-négociable. Cela constitue alors un premier pas vers la normalisation des relations entre les deux États. Pour le président équatorien Daniel Noboa, il serait préférable de normaliser ses relations extérieures pour regagner en popularité, dans un pays déjà en pleine crise sécuritaire et à moins d’un an des élections présidentielles de 2025 (31).