10/7/2024
Depuis 2001, après l'intervention militaire des États-Unis et l'éviction des talibans du pouvoir, l'Afghanistan est engagé dans un défi de stabilisation du pays. Tandis que les talibans ont repris le contrôle de vastes régions rurales (1), les zones urbaines restaient sous la protection des forces gouvernementales et de leurs alliés internationaux. Face à l’expansion talibane, de nombreux pourparlers ont eu lieu sans vraiment aboutir à un accord concret. Mais en février 2020 un accord historique a été signé à Doha entre les États-Unis et les talibans qui prévoyait le retrait progressif des troupes américaines et de l'OTAN en échange de garanties de sécurité de la part des talibans (2). Cependant, l'application de cet accord a été marquée par une recrudescence des violences et une avancée rapide de ces derniers. En août 2021, les talibans prennent le contrôle de la capitale, Kaboul, et y rétablissent leur régime. Ce retour au pouvoir a eu pour conséquence une crise humanitaire et politique majeure, avec des millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays et d’autres qui ont fui (3). Alors qu’une majeure partie du monde évite les nouveaux dirigeants de l’Afghanistan, en raison du non-respect des droits des femmes et des minorités, notamment en interdisant aux femmes l’accès à l’éducation (4), seuls le Qatar et la Turquie, à l’échelle extra-régionale sont ouverts à la coopération et au dialogue. Mais à l'échelle régionale, l’Afghanistan entretient des relations diverses et complexes avec ses voisins, qui craignaient déjà que la violence ne déborde leurs frontières.
Les États d'Asie centrale, notamment le Tadjikistan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan, ont toujours été affectés par les événements en Afghanistan en raison de leur proximité, de leurs liens culturels et historiques. Dans un premier chef, les tadjiks, les ouzbeks et les turkmènes font partie des ethnies qui composent l’Afghanistan.
Le samedi 30 janvier 2021, le Turkménistan a accueilli des Talibans afin de discuter de projets d’infrastructures notamment sur la construction de chemins de fer reliant les deux pays (5). Mais depuis la prise du pouvoir des Talibans, la frontière entre le Turkménistan et l’Afghanistan est fermée, en particulier pour les mouvements de population. Cependant entre janvier et décembre 2022, des membres du personnel des chemins de fer, des chauffeurs de transport routier et un très petit nombre d'Afghans, à savoir des diplomates, sont passés par le poste-frontière d’Akina (6).
En juin 2021, c’est la frontière entre le Tadjikistan et l’Afghanistan qui est fermée par les autorités tadjikes. Le 15 septembre 2021, à l’occasion du cinquième sommet des dirigeants des pays d’Asie Centrale, le président du Tadjikistan, Emomali Rahman, a exprimé ses inquiétudes face aux menaces croissantes du terrorisme et du trafic de drogue de l'Afghanistan vers le Tadjikistan. Douchanbé est en effet la seule capitale voisine de l'Afghanistan qui n'a pas accepté de diplomates talibans ni n’a établi de relations diplomatiques avec le nouveau gouvernement à Kaboul. S’ajoute à cela le chef de la NRF (National Front Resistance), le fils du commandant Massoud, Ahmad Massoud, qui réside actuellement au Tadjikistan, ce qui alimente aussi les oppositions entre les deux pays. Globalement, cette réaction tadjike s'explique par deux aspects. Dans un premier temps, le Tadjikistan, pays post-soviétique, s’est engagé depuis une décennie dans une politique d’enracinement de la culture tadjike mettant à l’arrière les valeurs religieuses. Très récemment, le gouvernement tadjik a décidé d'interdire le port du voile et le port de la barbe afin de mettre en avant le port de tenues traditionnelles. Mais au-delà de cette volonté de mettre en avant la culture, il y a aussi la volonté de freiner les groupes islamistes dans leurs activités. En effet, selon les autorités locale (7), il y aurait environ 400 combattants liés à divers « groupes terroristes » dans la province du Badakhshan utilisée comme un camp d’entraînement tels que certains groupes affiliés à Daech, le groupe militant Ansarullah (8) basé au Tadjikistan, le Mouvement islamique du Turkestan oriental (9), ou encore le Harkat-i-Islami d'Ouzbékistan.
Enfin, le 14 avril 2021 a eu lieu la quatrième réunion des ministres des Affaires étrangères des pays voisins de l’Afghanistan dans laquelle étaient présents les ministres des Affaires étrangères et les hauts responsables de la Chine, de l'Iran, du Pakistan, de la Russie, du Tadjikistan, du Turkménistan et de l'Ouzbékistan afin d’aboutir à la “Déclaration de Samarcande” (11). Par l’entremise de cette rencontre, les différentes parties ont fait part de leurs inquiétudes sur la situation humanitaire et économique en Afghanistan, et continuent d'apporter leur soutien à la reconstruction économique du pays notamment par des projets en matière d’énergie et d’infrastructure.
Que ce soit en 1979, en 2001 ou en 2021, beaucoup d’Afghans ont fui vers les pays les plus proches, notamment l’Iran et le Pakistan, depuis une cinquantaine d’années. L’Iran partage avec l’Afghanistan 900 km de frontières et compte environ 4 millions d’Afghans sur son territoire parmi lesquels seulement 780 000 possèdent une carte de réfugié (12). Tandis que le Pakistan estime leur nombre à 3 millions dont 1,4 million avec une carte de réfugié. Ces deux pays ont largement ouvert leurs frontières aux Afghans dans la décennie qui a suivi l’invasion soviétique et leur ont accordé un certain nombre de droits, particulièrement le gouvernement iranien. Mais peu à peu, ces droits étaient plus restreints et limités, avec le développement d’un sentiment xénophobe vis-à-vis des Afghans, après 2001. Les réfugiés afghans sont assignés à certaines parties du territoire et à certains métiers. L’accès à l’éducation leur est interdit – quand le droit d’asile ne leur est pas simplement dénié et la liberté de mouvement restreinte (13).
De plus, un conflit sur l'eau oppose l'Iran à l'Afghanistan, entraînant des affrontements violents. Le 27 mai 2023, a eu lieu entre les forces iraniennes et les talibans afghans un affrontements faisant deux morts. Téhéran accuse Kaboul de ne pas respecter un accord de 1973 qui régule le débit du fleuve Helmand, une ressource importante en eau (14). Mais les deux régimes ont aussi deux idéologies différentes, l’un étant un gouvernement chiite, l’autre sunnite. Ce facteur est structurel dans l’opposition historique entre les deux pays. L’Iran a en effet aidé les États-Unis il y a 20 ans à renverser le régime taliban pour éliminer ce qu'il jugeait dangereux pour sa sécurité nationale et les populations chiites en Afghanistan (15).
Quant au Pakistan, pays d’accueil jusqu’en 2001 pour les réfugiés afghans, il adopte aujourd’hui une politique de déplacement forcé (16). Depuis septembre 2023, plus de 500 000 réfugiés afghans seraient retournés en Afghanistan. Le désaccord sur le statut de la frontière est un problème récurrent dans les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan, sur lequel aucune des deux parties ne veut faire de compromis. La frontière de facto qui divise l'Afghanistan et le Pakistan – la ligne Durand – a été tracée sur la base d'un accord signé en 1893 entre Abdul Rahman Khan, l'émir d'Afghanistan et Mortimer Durand (16) un diplomate britannique représentant l'Inde britannique. Mais aujourd’hui, l'État Afghan ne reconnaît pas cette frontière (17). En contrepartie, le gouvernement pakistanais a cherché ces dernières années à renforcer son contrôle sur la frontière. Il a, à différents moments, soit fermé la frontière, soit renforcé les règles de passage des frontières pour les Afghans. De surcroît, de nombreux affrontements armés ont eu lieu dernièrement, sur la base de tensions politiques et territoriales fortes entre les deux pays. Le 18 mars 2024, le Pakistan a annoncé que les forces de sécurité avaient mené ce matin-là des “opérations antiterroristes” contre des militants basés en Afghanistan. Ces frappes font suite à une attaque contre un poste militaire dans le Nord-Waziristan, au Pakistan, qui a tué sept soldats. Nous pouvons nous demander pourquoi des affrontements si violents ? Le chef de l’armée pakistanaise Asim Munir, en poste depuis novembre 2022, a adopté une position publique ferme à l’égard de l’Afghanistan, allant jusqu’à déclarer que « lorsqu’il s’agit de la sûreté et de la sécurité de chaque Pakistanais, l’ensemble de l’Afghanistan peut être damné » La présence talibane en Afghanistan intervient dans la politique intérieure du Pakistan, avec une branche talibane pakistanaise, le “Tehrik-e-Taliban Pakistan”. En effet, les deux branches entretiennent des liens étroits. Le TTP, créé en 2007, situé à l’extrême nord du Pakistan, avait perpétré de nombreuses attaques terroristes contre le gouvernement PakistanaiEn août 2021, les Talibans afghans libèrent des membres du TPP des prisons de Kaboul afin qu’ils puissent retourner au Pakistan, représentant ainsi un danger majeur. Entre novembre 2022 et février 2023, 58 attaques du TTP contre les militaires pakistanais sont recensées.
L’Afghanistan partage aussi une frontière avec la Chine où se situe la province du Xinjiang. Depuis 2001, les relations entre la Chine et l'Afghanistan ont évolué. Après l'invasion américaine en 2001, la Chine a maintenu des relations diplomatiques prudentes avec le gouvernement afghan, tout en évitant une implication militaire directe. Dès 2021, les deux pays ont une relation bilatérale centrée sur des échanges commerciaux. En effet, la Chine voit l’Afghanistan comme un partenaire économique important. Le retour au régime des Talibans n’a pas soumis la Chine aux mêmes inquiétudes que les autres États, étant donné l’importance du partenaire et de préserver la sécurité dans la région et donc de préserver sa relation avec les nouveaux dirigeants afghans. La Chine est le premier et seul pays à ce jour à avoir nommé un ambassadeur en Afghanistan depuis le retour des talibans, dont le gouvernement n'est reconnu par aucune capitale. La Chine s'engage activement dans les affaires afghanes en raison de sa position stratégique au sein du carrefour de l'Asie centrale et du Sud, du fait de ses ressources naturelles abondantes, tels que le lithium, le cuivre et les éléments de terre rares (20). Depuis que le pays est tombé aux mains des talibans en 2021, l'Afghanistan a bénéficié du plus important projet d'investissement étranger en janvier 2023. Il a en effet conclu un contrat avec la compagnie publique chinoise Xinjiang Central Asia Petroleum and Gas Company (Capeic) pour extraire du pétrole du bassin de l'Amou-Daria et construire une réserve de pétrole dans la province septentrionale de Sar-e Pol. Lors d‘une conférence de presse le 30 août 2021, le ministre des affaires étrangères chinois, Wang Wenbin déclare : ”La position de la Chine sur la question afghane est constante et claire. Nous espérons que l'Afghanistan formera un gouvernement ouvert, inclusif et largement représentatif, poursuivra des politiques intérieures et extérieures modérées et prudentes, combattra résolument toutes sortes de forces terroristes, coexistera de manière amicale avec les autres pays et répondra à l'aspiration de son propre peuple et à l'attente générale de la communauté internationale.” (22). De fait, les raisons de l’intérêt chinois pour la région sont sécuritaires et économiques. La Chine veut sécuriser et stabiliser la région en entrant en contact avec les talibans (23). Le 13 avril 2023, lors d’une rencontre avec le ministre par intérim des Affaires étrangères du gouvernement provisoire afghan Amir Khan Muttaqi, le conseiller d’État et ministre des Affaires étrangères Qin Gang a déclaré: “La Chine espère que les Talibans afghans respecteront leur engagement à lutter contre le terrorisme et protégeront efficacement la sécurité des institutions et du personnel chinois en Afghanistan." (24).
De leur côté, les Talibans ne montrent pas de réticence au soft power chinois, et accueillent Pékin comme un soutien de poids dans un contexte où Kaboul reste marginalisé à l’échelle internationale. Un porte-parole du nouveau gouvernement a même qualifié la Chine “de pays ami de l’Afghanistan” (25).
Personne ne s’attendait à ce qu’en 2024 les talibans soient encore au pouvoir car beaucoup espéraient que les efforts diplomatiques et les sanctions internationales finiraient par affaiblir leur régime. Face à cette tournure, les relations frontalières sont complexes et instables, mais au prix de la sécurité et de la stabilité, certains États ont préféré coopérer, quand d’autres ne veulent pas reproduire ce qu’ils ont déjà vécu lors de la première prise du pouvoir des talibans de 1996 à 2001. À l’échelle mondiale, bien que la communauté internationale n'ait jamais reconnu l’Emirat Islamique d’Afghanistan, nous remarquons peu à peu une sorte de transigeance, comme si une porte qui était censée être scellée, s’ouvrait doucement. En effet, le 30 juin était prévue à Doha une rencontre entre le Régime des Talibans et les Nations Unies. Les discussions qui y ont eu lieu ont constitué un “bon point de départ”, selon un représentant spécial de l’UE pour l’Afghanistan.