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Les Nouvelles Routes de la Soie, 10 ans après

Le laboratoire de recherche sur les relations sino-américaines se focalise cette semaine sur le Troisième Sommet des Nouvelles Routes de la Soie ayant eu lieu en octobre 2023. Seront aussi traités la fin de la reconnaissance de Taïwan par le micro-Etat de Nauru et les entraînements militaires américains et chinois dans le cadre des tensions dans l’Indo-Pacifique.

Le Troisième Sommet des Nouvelles Routes de la Soie (17-19 octobre 2023)

En septembre 2013, peu de temps après son entrée en fonction en tant que secrétaire général, Xi Jinping parle pour la première fois d’une initiative nouvelle dans la politique chinoise : les Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road Initiative). Ce projet a pour but de faciliter le commerce, d’améliorer les infrastructures de transport et surtout de renforcer l’influence de la Chine sur la scène internationale. Au total, plus de 140 pays1, de plusieurs continents, ont exprimé leur intérêt à faire partie de ce projet, ce qui représente environ 2 tiers de la population mondiale et 40% du PIB global. Pour cela, la Chine n’hésite pas à dépenser de l’argent, que ce soit sous forme de prêts ou pour financer des projets comme la construction d’autoroutes, de ports ou d’aéroports. Elle a déjà dépensé plus de 1000 milliards de dollars pour ce projet et, selon plusieurs études, ce chiffre pourrait dépasser les 8000 milliards de dollars2.

La principale raison derrière ces Nouvelles Routes de la Soie est économique. En effet, l’économie chinoise, bien que moins importante qu’avant, est en augmentation avec un taux de croissance3 de plus de 5% en 2023. Cela explique la nécessité pour la Chine de mettre en place de nouvelles infrastructures pour soutenir cette croissance. C’est aussi une manière de compléter le Partenariat économique régional global, plus connu sous l’acronyme RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership) qui est un important accord de libre-échange avec 15 pays de l’Asie-Pacifique. Ainsi, par ces Nouvelles Routes de la Soie, le Partenariat économique régional global est complété avec des projets logistiques et énergétiques qui représentent des opportunités pour certaines compagnies et régions chinoises en développement comme le Xinjiang. En réalité, on trouve aussi, derrière ce gigantesque projet, des raisons géopolitiques. Depuis l’arrivée de Barack Obama au pouvoir, les Etats-Unis ont opéré un pivot asiatique avec une politique non-officielle d’endiguement de l’influence chinoise en Asie, notamment par la présence de bases américaines au Japon, en Corée du Sud ou encore aux Philippines. Bien que les Nouvelles Routes de la Soie ne soient pas une menace stratégique pour les Etats-Unis, elles représentent un moyen pour la Chine de contrer cet endiguement américain et de continuer d’étendre son influence.

Un premier Sommet des Nouvelles Routes de la Soie4 s’est tenu les 14 et 15 mai 2017 à Pékin et un second du 25 au 27 avril 2019. Suite à ce deuxième Sommet, le gouvernement chinois a réduit les dépenses et plus généralement l’ampleur des projets initialement prévus. Le nombre et la taille des contrats signés ont fortement diminué, témoignant d’une plus grande prudence chinoise vis-à-vis de ses investissements. Le Troisième Sommet, ayant eu lieu du 17 au 19 octobre 2023, a été marqué par une baisse de la participation des dirigeants mondiaux, en comparaison avec les deux précédents sommets. Seulement 23 chefs d’Etat et de gouvernement étaient présents en 2023 contre 29 en 2017. Parmi les absents, on observe surtout des pays européens comme la Grèce, la République Tchèque ou encore l’Italie qui avaient pourtant participé aux deux précédents forums. Cette absence s’explique en partie par la présence du président russe Vladimir Poutine à cet évènement, malgré le contexte de la guerre en Ukraine. Cette visite de Vladimir Poutine, alors qu’il ne s’était pas déplacé pour le sommet des BRICS en Afrique du Sud en août 2023 ou pour le G20 en Inde en septembre 2023, pourrait signifier qu’il accorde plus d’importance et une certaine priorité à la Chine. Malgré ces tensions diplomatiques, ce Troisième Sommet a néanmoins permis la signature de plus de 200 accords de coopération5 sur divers sujets comme l’accélération du développement vert ou la promotion de l’économie numérique.

Si les pays européens, et plus généralement les pays occidentaux, ont montré quelques réticences, les pays d’Afrique et du Moyen-Orient étaient plus enthousiastes à l’idée de cette coopération. Lors de ce Troisième Sommet, 6 dirigeants africains ont fait le déplacement à Pékin. La Chine, qui est aujourd’hui le premier partenaire du continent africain, n’hésite pas à investir massivement dans ces pays, notamment sous forme de prêts. Par exemple, le gouvernement chinois a accordé plus de 6 milliards de dollars sous forme de prêts au Kenya pour l’aider à construire des infrastructures et en particulier des voies de transports comme le chemin de fer “Mombasa-Nairobi”, de près de 600 kilomètres pour relier la capitale au plus grand port du pays et soutenir le développement économique kenyan.

Pour les pays africains, les aides chinoises sont une aubaine. Les pays occidentaux leur prêtent généralement peu car ils ont peur que leur argent ne soit jamais remboursé. De même, les institutions internationales comme la Banque Mondiale requièrent certaines conditions avant de prêter, contrairement à la Chine qui est par exemple peu regardante sur la situation démocratique ou en matière de droits humains dans les pays africains. Un autre avantage est que la Chine, en plus de prêter, ramène aussi sa propre main d'œuvre pour la construction des infrastructures et est assez laxiste en cas de difficultés à rembourser. Dans certains cas, elle offre la possibilité d’une annulation de la dette ou autorise à rembourser autrement. Ce qu’il faut comprendre est que l’Afrique est d’un intérêt stratégique pour la Chine. La rhétorique chinoise consiste à rappeler que la Chine et les pays africains ont tous deux été victimes de la colonisation des occidentaux, d’où la nécessité de s’entraider. Cette entraide se remarque notamment en 1955 lors de la conférence de Bandung prônant un non-alignement en opposition aux deux superpuissances de la Guerre Froide ou en octobre 1971 lorsque la Chine parvient, grâce aux soutiens des pays africains, à obtenir le siège permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, appartenant initialement à Taïwan. L’accord avec le Kenya n’est pas unique car la Chine a conclu de tels accords avec de nombreux pays dans la région comme le Nigéria mais aussi avec des pays asiatiques comme l’Ouzbékistan ou le Kirghizstan.

Entre 2005 et 2017, la Chine a prêté près de 137 milliards de dollars à des pays d'Afrique. Pour autant, si la Chine est généreuse sur le continent africain, la Banque mondiale6 alerte sur les dangers liés aux niveaux de la dette dans 27 de ces pays comme au Mozambique ou au Zimbabwe où le niveau de la dette atteignait 82% du PIB national en 2017 contre 48% en 2013. Cette situation soulève des inquiétudes puisque si les pays n’arrivent plus à rembourser leurs prêts, il est prévu que la Chine ait la possibilité de saisir l’infrastructure en construction de manière temporaire. Par exemple, en 2008, le Sri Lanka commence la construction d’un grand port, le port de Hambantota, grâce aux prêts chinois. Mais, le fardeau de la dette a contraint le Sri Lanka à céder ce port aux chinois pour une durée de 99 ans. La perte de la souveraineté sur cette infrastructure vitale pour le développement de l’île a conduit à une vague de contestations. Cette situation est appelée le “piège de la dette”. On notera néanmoins que le Sri Lanka devait déjà rembourser des dettes européennes et américaines à court terme et avec des taux d'intérêt plus élevés, donc la Chine n’est pas la seule responsable de la crise au Sri Lanka.

De l’autre côté du Pacifique, les Etats-Unis dénoncent ce projet des Nouvelles Routes de la Soie et accusent la Chine de profiter de la fragilité des Etats en développement pour développer une présence militaire et construire un réseau de ports stratégiques, en particulier dans l’océan indien. Pour autant, la seule vraie base militaire chinoise se situe à Djibouti depuis 2017 pour surveiller le détroit de Bab-el-Mandeb, entre la mer Rouge et l’océan Indien, et lutter contre la piraterie. Cette présence chinoise à Djibouti est aussi critiquée par les Etats-Unis et notamment par le Département de la Défense américain7. Cela est d’autant plus intéressant car la Chine avait promis de ne jamais installer de base militaire à l’étranger car elle ne voulait pas reproduire le comportement des occidentaux, jugé “colonialiste”.

Depuis 2021, les Etats-Unis sont aussi pleinement engagés pour contrer ces Nouvelles Routes de la Soie. Pour cela, ils ont lancé plusieurs initiatives comme le projet économique “Build Back Better World8 ou B3W en juin 2021. Ce projet, mené en concertation avec les autres membres du G7, repose aussi sur le financement et la construction d’infrastructures dans les pays en développement. C’est une manière pour les Etats-Unis d’affaiblir ces Nouvelles Routes de la Soie qui sont déjà en difficultés. En effet, la pandémie de Covid-19 et la politique “zéro-covid” de Xi Jinping a conduit à de nombreux confinements en Chine, notamment à Shanghai et dans le monde. Cette pandémie a ralenti les constructions prévues. Puis, le 24 février 2022, l’invasion russe de l’Ukraine conduit à une forte augmentation des prix de l’énergie et plus généralement à des tensions sur les marchés qui ont aussi handicapé l’avancée de ces Nouvelles Routes. Face à ces nombreuses difficultés rencontrées, aux dettes engendrées, et aux initiatives américaines faisant de l’ombre à ces Nouvelles Routes, certains pays n’hésitent pas à se retirer du projet. C’est le cas de l’Italie9 de Giorgia Meloni en septembre 2023 qui a jugé que les bénéfices économiques apportés par ce projet des Nouvelles Routes de la Soie étaient trop faibles.

Nauru ne reconnaît plus Taïwan (15 janvier 2024)

Le 13 janvier 2024, lors de l’élection présidentielle de l’île, les taïwanais ont décidé de reconduire le Parti Démocrate Progressiste en élisant Lai Ching-te, l’ancien vice-président. Mais, deux jours après cette élection, le micro-Etat de Nauru a décidé de ne plus reconnaître Taïwan. Nauru reconnaît le principe d’une seule Chine mais où Pékin serait la capitale du gouvernement et où Taïwan ferait partie intégrante de la Chine continentale. A l’inverse, les Etats-Unis appliquent aussi ce principe d’une seule Chine mais ne prennent pas position sur Taïwan. Ils entretiennent une ambiguïté stratégique sur ce sujet.

En réalité, cette situation n’est pas surprenante car depuis 1971, date de l’entrée de la République Populaire de Chine à l’ONU, les Etats du monde abandonnent les uns après les autres leur reconnaissance de Taïwan au profit de la Chine. Par exemple, avant la République de Nauru, le Honduras avait décidé, en mars 2023, de ne plus reconnaître Taïwan. Derrière ces changements, on retrouve bien-sûr l’ombre de Pékin qui cherche à affaiblir Taïwan sur la scène internationale. Depuis 1949, date de la Révolution communiste, la Chine revendique la souveraineté sur l’île et a déjà annoncé qu’elle utilisera la force si nécessaire pour en reprendre le contrôle et “unifier” le pays avant 2049. C’est la raison pour laquelle Taïwan a dénoncé le rôle de la Chine qu’elle accuse d’intimidation et de lobbying. Cette situation n’est pas non-plus surprenante car les relations diplomatiques entre Taïwan et Nauru ont parfois été mouvementées. En effet, le micro-Etat a commencé à entretenir des relations diplomatiques avec l’île en 1980 mais a reconnu la République Populaire de Chine en 2002. Pour autant, 3 ans plus tard, en 2005, il a décidé la réouverture des relations avec Taïwan avant de reconnaître une nouvelle fois la Chine en 2024. En clair, on remarque beaucoup d’alternance chez ce micro-Etat donc il n’est pas impossible qu’il reconnaisse une nouvelle fois Taïwan à l’avenir.

Néanmoins, cela reste une mauvaise nouvelle pour Taïwan qui perd un nouvel allié juste après son élection présidentielle. D’autant plus que ses liens avec le micro-État étaient étroits. Taïwan représentait un des partenaires principaux de Nauru avec l’Australie et fournissait notamment de l’équipement médical. Cette décision de Nauru a été critiquée par Matthew Miller, le porte-parole du Département d’Etat des Etats-Unis, qui a appelé à “continuer à soutenir la démocratie, la bonne gouvernance, la transparence et le respect de l'État de droit”10. Aujourd’hui, il ne reste plus que 12 pays11 reconnaissant l’île, dont le Vatican. Ces pays, bien qu’ils ne pèsent que peu sur la scène internationale, permettent à Taïwan de faire parler d’elle à l’ONU et d’amener certains sujets à la table des négociations.

Exercices militaires chinois et américains

La Chine et les Etats-Unis se livrent à une concurrence féroce dans l’Indo-Pacifique, un point de passage incontournable pour le commerce mondial. La République Populaire de Chine revendique historiquement près de 90% de la Mer de Chine sur la base de la ligne des 9 traits, devenue la ligne des 10 traits suite à la modernisation des cartes officielles chinoises fin-2023. Ce tracé n’a pas été reconnu par l’Organisation des Nations Unies en 2016 qui a donc statué que la Chine n’avait pas de base légale pour affirmer une souveraineté sur cette région. De leur côté, les Etats-Unis sont attachés à la liberté de navigation en Mer de Chine et envoient régulièrement des navires, comme dans le détroit de Taïwan. Ils soutiennent aussi le principe des zones économiques exclusives (ZEE) mises en place par l’ONU en 1982 lors de la conférence de Montego Bay.

On l’aura compris, cette région est une forte zone de tensions entre la Chine et les Etats-Unis. C’est la raison pour laquelle les américains ont pris la décision de réinvestir dans la petite île de Tinian12. Celle-ci est connue pour avoir servi lors des bombardements atomiques au Japon en août 1945. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la nature commençait à reprendre ses droits sur l’île. Mais, les Etats-Unis ont fait passé le “National Defense Authorization Act”13 pour financer son armée sur l’année 2024. Ce projet prévoit plusieurs millions de dollars pour Tinian et notamment pour moderniser l’aérodrome, créer des aires de stationnement ou encore faciliter l’approvisionnement en énergies. Cette décision fait partie de la politique non-officielle d’endiguement de la Chine en Asie. En effet, les Etats-Unis cherche à limiter l’expansion de la Chine par le développement d’alliances avec les pays asiatiques et l’installation de bases militaires comme au Japon, en Corée du Sud, aux Philippines et maintenant sur l’île de Tinian.

Du côté chinois, les forces de l’armée populaire de libération s'entraînent à un possible conflit ouvert avec l’armée américaine. Pour cela, la Chine a fait construire une maquette du porte-avions américain USS Gerald Ford14 dans le désert de Taklamakan, dans la région du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine. L’objectif pour la Chine est de renforcer et affiner ses capacités militaires. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle ne cesse de moderniser son armée et notamment sa marine. En 2023, le Pentagone15 considérait la marine chinoise comme la plus importante au monde avec environ 370 navires et sous-marins.

  1. Council on Foreign Relations, (2023). "China's Massive Belt and Road Initiative."
  1. Center for Global Development, (2023). "China's Belt and Road Initiative Heightens Debt Risks in Eight Countries: Points to the Need for Better Oversight."
  1. World Bank, (2023). "Sustained Policy Support and Deeper Structural Reforms to Revive China's Growth Momentum: World Bank Report."
  1. Belt and Road Forum for International Cooperation, (2017). Site officiel
  1. Council on Foreign Relations, (2023). "China's Belt and Road Initiative Enters Its Second Decade: Which Leaders Went to Beijing to Celebrate."
  1. World Bank, (2019). “Publication : Global Economic Prospects, January 2019: Darkening Skies
  1. U.S. Department of State, (2017-2021). "China's Military Aggression in the Indo-Pacific Region."
  1. The White House, (2021). "Fact Sheet: President Biden and G7 Leaders Launch Build Back Better World (B3W) Partnership."
  1. Center for Strategic and International Studies (CSIS), (2023). "Italy Withdraws from China's Belt and Road Initiative."
  1. The Hill, (2024). "US: Nauru move to China over Taiwan 'disappointing'."
  1. Focus Taiwan, (2024). "Taiwan, Nauru end diplomatic relations"
  1. Nikkei Asia, (2023). "U.S. to reclaim WWII airfield in Pacific, clearing jungle by summer."
  1. U.S. House of Representatives, (2023). "FY24 NDAA Conference Report - FINAL."
  1. The Drive, (2024). "China Has New Full-Scale Target of America's Ford Supercarrier."
  1. Department of Defense, (2023). "Military and Security Developments Involving the People's Republic of China."

Les Nouvelles Routes de la Soie, 10 ans après

En 2013, Xi Jinping lançait le vaste programme des Nouvelles Routes de la Soie. Quel constat peut-on faire dix ans après ? De plus, intéressons nous aux conséquences de la fin de la reconnaissance de Taïwan par le micro-État de Nauru et des entraînements militaires américains et chinois dans le cadre des tensions dans l’Indo-Pacifique.
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