11/10/2024
En 2012, l'ONU consacrait le 11 octobre, journée internationale de la fille afin de mieux reconnaître les droits des filles et la situation de celles-ci dans le monde. En raison de leur âge et de leur condition de fille, celles-ci font en effet face à plusieurs violations de leurs droits fondamentaux. L’Observatoire Afrique subsaharienne du CEDIRE se propose de mettre en lumière en cette journée lourde de sens la situation de plusieurs jeunes filles victimes de mariages précoces dans ce pays.
Introduction
« On ne doit pas juger un être humain en fonction de son sexe […] rappelle-toi que l'école te rendra plus autonome et plus heureuse. Tu n'es pas une fille pour le mariage. Dis à la personne qui t'a parlée de mariage que se marier, c'est bien mais réussir ses études, c'est mieux » (1).
Dans la société africaine et ce, malgré les avancées significatives en matière d’éducation et de conscientisation, les jeunes filles dès leur bas âge continuent d’être préparées physiquement mais aussi psychologiquement à être des femmes au foyer et des mères. Il existe en effet un ensemble de valeurs traditionnelles et d’interprétations religieuses patriarcales qui font de cette pratique la norme dans cet espace géographique. Le mariage est ainsi considéré comme une étape essentielle du passage de l’enfance à l’âge adulte, un moyen de préserver la jeune fille de la « dépravation » ainsi que comme un outil important pour confirmer les relations sociales et familiales qui ont jadis existé et qui doivent continuer d’être perpétuées (2).
Parmi les pays d’Afrique, le Niger se distingue tristement par son taux le plus élevé de mariages d’enfants. En effet, le pays enregistre à lui seul, le plus fort pourcentage de mariage des filles de moins de 15 ans (36%) et de moins de 18 ans (75%) au monde (3). Les estimations indiquent qu’au Niger, 5 millions d’épouses sont des mineures (4). Une situation qui vient mettre à mal plusieurs droits fondamentaux garantis à l’Homme en général et la jeune fille en particulier par les différentes conventions internationales notamment le droit au consentement libre et plein au mariage (5), le droit à la liberté, le droit à l’épanouissement (6) ainsi que le droit à l’éducation.
Au regard de ces violations répétées des droits humains, la communauté internationale a maintes fois exhorté le Niger à mettre fin à cette pratique. L’urgence étant d’abord d’amender les textes juridiques relatifs au mariage notamment le code civil qui dispose en son article 144 que la jeune fille de quinze ans révolus peut contracter un mariage (7). Bien qu’une proposition de loi ait été faite, celle-ci n’a pas encore été adoptée (8) laissant les jeunes filles dans une situation préoccupante exacerbée par de nombreux facteurs structurels.
Mariages précoces au Niger : une panoplie de considérations à la genèse d’une construction préjudiciable aux droits des femmes
« Au contraire, ils sont plutôt contents d’avoir accompli sans faille leur devoir. Depuis notre enfance, ils n’attendent que ce moment où ils pourront enfin se décharger de leurs responsabilités en nous confiant, vierges, à un autre homme » (9).
Toutes les communautés du monde ont des pratiques culturelles qui leurs sont propres et qui existent depuis de nombreuses années. Si certaines d'entre elles apportent à ladite communauté un équilibre et une stabilité certaine dans les relations interpersonnelles, d’autres, par contre, sont néfastes au développement de certains groupes. C’est notamment le cas du mariage précoce ou mariage d’enfants dans les communautés africaines. La culture apparaît ainsi comme l’une des raisons prépondérantes de la persistance de ce phénomène comme l’a souligné Amadou Djaïli Amal dans son ouvrage Les Impatientes (2020).
Dans la société nigérienne, le mariage est considéré comme un moyen d’entretenir le lien entre les familles et les communautés. Dès leur naissance, les jeunes filles peuvent être promises à un homme plus âgé, une décision prise au mépris total de leur autonomie corporelle et leur droit au libre choix. Pour les parents, s’opposer à cette tradition reviendrait à renier leur appartenance à la société qui les a façonnés ainsi qu’aux normes qui leurs ont été imposées. De plus, il faut voir dans cette culture du mariage de la jeune fille, un aspect purement patriarcal. Les jeunes hommes sont éduqués pour répondre aux besoins physiques et financiers de leurs femmes tandis que celles-ci doivent s’occuper du ménage et des enfants. En somme, le mariage est emprunt de rôles basées sur le genre en défaveur des jeunes filles mais qui sont très ancrées dans les mentalités africaines. Dans un entretien réalisé au Niger par Save The Children en 2019, on peut lire les témoignages suivants :
« Mon mari a la responsabilité de me nourrir, de m’habiller, d’être dans mon lit et de m’instruire sur mon comportement et ma religion » (10).
«Ma grand-mère a décidé de me marier, car j’étais sous sa responsabilité et pour protéger la réputation de notre famille puisque j’avais l’âge de me marier » (11).
Ces propos montrent clairement que dans ce pays d’Afrique subsaharienne, le mariage est d’abord et avant tout l’apanage de la famille et du futur époux. La jeune fille, elle, n’ayant pas son mot à dire.
Cette problématique du mariage précoce est également exacerbée par la conjoncture économique du cercle familial. Les plus hauts taux de mariages d’enfants étant enregistrés dans les zones rurales où vivent des familles pauvres. À titre d'exemple, les jeunes filles venant de la région de Maradi ont 2,8 fois plus de chance d’être mariées précocement que celles de la capitale, Niamey (12) et 67% de filles issues de communautés pauvres sont mariées contre 19% de celles provenant de familles plus aisées (13).
La religion joue un rôle central dans la perpétuation du mariage précoce, puisque 98% de la population nigérienne est de confession musulmane (14). En effet, les attitudes locales sont fortement influencées par les prescriptions du Coran et la vie du prophète Mahomet. Les leaders religieux s'inspirent d’ailleurs de cette dernière pour justifier du mariage des enfants, le prophète ayant épousé Aïcha à l’âge de six ans et consommé ce mariage lorsqu’elle avait neuf ans (15). Plusieurs mouvements islamistes s’opposent ainsi au projet de loi visant à élever l’âge du mariage des filles à 18 ans arguant que l’exemple du prophète doit être suivi et que le mariage précoce protège les jeunes filles des grossesses hors mariage et préserve leur pureté. « Nous devons suivre le prophète comme modèle mais, aujourd’hui, les organismes et certains oulémas sont en train de lutter contre le soi-disant mariage précoce, alors que beaucoup de filles de 13 ans tombent enceintes hors mariage » (16).
Eu égard à ces nombreux abus, on pourrait s’attendre à ce que la législation nigérienne se fasse défenseuse des droits des jeunes filles. En revanche, les règles régissant le mariage viennent également à leur tour enraciner la pratique. Le code civil nigérien institutionnalise en effet la pratique en consacrant l’âge du mariage pour la jeune fille à 15 ans. Une disposition qui se présente en totale contradiction avec les différents traités auxquels le pays est partie à l’instar de la Convention internationale sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989 et la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes du 3 septembre 1981. Le mariage précoce des enfants, résultat de ces multiples facteurs, entraîne inévitablement des répercussions négatives sur la vie des jeunes filles, dans une dynamique où chaque cause produit ses effets.
Mariages précoces au Niger : à l’origine d’une pléthore de répercussions sur la vie des jeunes filles
« Aucune société ne peut se permettre les opportunités perdues, le gâchis de talent ou l’exploitation humaine causées par les mariages des enfants » (17).
Si la société nigérienne conçoit le mariage des filles très tôt comme une pratique pour préserver l’honneur familial entre autres, il n’en demeure pas moins que cette pratique a de graves conséquences physiques et psychologiques sur ces dernières (18). Plusieurs experts (19) démontrent d’ailleurs dans leurs études que les mariages précoces ont une incidence accrue sur la santé et le développement de ces jeunes filles. De prime abord, les abus sexuels, violences basées sur le genre et viol conjugal sont les déboires imminents auxquels elles sont confrontées. Généralement mineures, elles sont mariées à des hommes plus âgés et une fois le mariage scellé, il suffit qu’elles ne consentent pas à entretenir des rapports pour être passées à tabac. Ce fut le cas par exemple de Nafissa, une jeune fille nigérienne âgée de 22 ans qui a confié avoir été mariée à l’âge de 14 ans à un homme de 34 ans dont elle n’avait pas connaissance. Elle a ainsi subit plusieurs châtiments de la part de ce dernier afin qu’elle accepte d’avoir des rapports sexuels avec lui (20).
Outre ces violences, évidemment, ces jeunes filles en pleine puberté dont le bassin n’est pas encore complètement développé finissent par avoir des grossesses précoces qui ont des répercussions sur leur santé. Les risques pour la santé étant aussi importants pour la mère que pour le nourrisson avec des accouchements qui peuvent s’avérer compliqués pouvant conduire à des pertes en vie humaine. Toujours dans le cas de figure de Nafissa, il faut souligner qu’elle a perdu son premier enfant à la naissance et a décidé de s’enfuir selon ce qu’elle a confié lors d’un échange avec Girls not brides.
Aussi, les jeunes filles mariées tôt finissent par sombrer dans la détresse psychologique (21) et certaines commettent l’irréparable : le suicide. Ce fut par exemple le cas d’une jeune fille de 16 ans nommée Nazira dans la région de Zinder, collégienne qui s’est donnée la mort le 10 mars 2023 afin d’échapper au mariage forcé auquel elle a été contrainte par sa famille (22).
À noter également que les filles mariées très tôt se retrouvent finalement déscolarisées. En effet, une fois dans le ménage, elles sont considérées comme adultes et sont prises en charge par leurs maris qui ne voient plus d’intérêt à les laisser continuer leurs études. Les tâches domestiques et l’éducation des enfants ne leur laissent de toute manière pas le temps (23). Cependant, dans un monde en perpétuelle évolution, l’éducation est la voie privilégiée pour atteindre l’autonomie. À préciser que, chaque année de mariage précoce réduit la probabilité d’alphabétisation chez les femmes mariées tôt de 5,7% et la probabilité d’achever leurs études secondaires de 3,5% (24). Faut-il l’ajouter, une fille instruite donne naissance à moins d’enfants et, consciente de l'importance de l’éducation, elle veille à ce que ses enfants reçoivent une éducation de qualité et lutte ainsi à son tour contre le mariage précoce.
Par ailleurs, le mariage forcé de ces jeunes filles les empêche de sortir de la pauvreté contrairement à ce que pensent les parents. Cette pratique fait perdurer le système de patriarcat déjà existant, entravant ainsi le développement des individus, des communautés et des pays (25). C’est dans cette optique, qu’il apparaît aujourd’hui plus qu’important pour les autorités nigériennes de mettre en œuvre des actions fortes afin de venir à bout de ce phénomène.
Venir à bout des mariages précoces au Niger : quelques pistes de solutions envisageables
« Il y a la justice d’en haut ou des prophètes quand l’homme ne se résigne pas à ne posséder qu’une justice imparfaite » disait Jean Carbonnier (26).
Bien que les règles religieuses et culturelles aient un caractère sacré dans les communautés d’Afrique subsaharienne et plus particulièrement au Niger, il est essentiel de reconnaître que l’évolution du monde exige une adaptation des dogmes. En effet, ce n’est pas la culture qui façonne l’homme mais l’homme qui façonne la culture par répétition d’actions au fil des ans. Dans un souci de justice, il apparaît donc aujourd’hui important de transcender ces différentes règles pour assurer aux jeunes filles de vivre dans un Niger favorable à leur épanouissement.
Pour ce faire, il serait judicieux, de prime abord, d’adopter le projet de loi visant à fixer à 18 ans l’âge du mariage des jeunes filles afin de faire correspondre le corpus juridique nigérien aux engagements pris par celui-ci sur la scène internationale mais surtout d'offrir aux jeunes filles une enfance digne et sauve. Pour une meilleure protection, il faudrait y inclure des dispositions qui permettront de réprimer les auteurs et complices de mariages précoces dans l'intérêt de dissuader de telles pratiques et de protéger les droits des jeunes filles. Il faudrait également sensibiliser les chefs coutumiers et religieux à l’importance d’éradiquer les mariages précoces car dans les différentes communautés rurales, ils représentent des leaders d’opinion. Les convaincre contribuerait à influencer les chefs de familles toujours réfractaires à cette avancée en matière de droits des filles.
Ensuite, il est nécessaire de mettre en place des initiatives qui permettront d'accompagner l'éducation des jeunes filles. Les filles qui n'ont pas accès à l'éducation sont plus fragiles et se retrouvent souvent dans des situations difficiles et peuvent être contraintes de se marier. Par contre, celles qui sont instruites sont mieux préparées à gérer les pressions de leur environnement social et familial. Elles ont la possibilité d'obtenir de meilleures opportunités, ce qui leur permet d'améliorer leur statut social et de s'épanouir pleinement.
De plus, afin de toucher le plus grand nombre, il serait pertinent d'organiser des activités en langue locale en partant du principe que les personnes issues des zones rurales sont majoritairement analphabètes. Mettre en exergue les différentes conséquences sanitaires, psychologiques et physiques inhérentes aux mariages précoces dans les différents dialectes du Niger favoriserait ainsi une vulgarisation plus importante de l'information. Enfin, les organisations de la société civile et les organisations internationales sont également appelées à mettre en place des initiatives innovantes et pérennes permettant de prendre en charge et d’écouter les jeunes filles mariées qui ont fui leurs ménages afin qu’elles puissent réaliser leurs rêves.
1. Féminin interdit, Honorine NGOU, 2007, p. 15-20.
2. Le mariage des enfants et l’éducation en Afrique de l’Ouest et du Centre, UNICEF, mai 2022, p.2.
3. Mariage précoce, fécondité et planning familial au Niger, résultats d’une étude inspirée de l’International Men and Gender Equality Survey (IMAGES), PROMUNDO, 2018, p.1.
4. Le mariage des enfants et l’éducation en Afrique de l’Ouest et centrale, aperçu statistique et réflexion sur l’élimination de cette pratique, UNICEF, juin 2022, p.68.
5. Article 23 alinéa 3, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 septembre 1966.
6. Convention internationale des droits de l’enfant, 06 septembre 1990, p.3.
7. Code civil du Niger, p.17.
8. Le Niger ne tolérera plus le mariage d’enfant, Plan international.
9. Les impatientes, Djaïli Amadou Amal, 2020, p.12.
10. Les normes de genre, le mariage des enfants et l’éducation des filles en Afrique de l’Ouest et du Centre, évaluer le rôle de l’éducation dans la lutte contre le mariage des enfants, Save the Children, octobre 2019, p.15.
11. Idem, p.16.
12. Early marriages and correlates among young women in sub-Saharan African countries, Jacques M. Elengemoke and A. Sathiya Susuman, University of Western Cape, 2020, p.8.
13. Pourquoi le mariage d’enfants est-il si répandu en Afrique de l’Ouest, Global Citizen, Antoine Le Seigle, 17 décembre 2021.
14. Le Niger : stabilité durable ou équilibre précaire? Observatoire du monde arabo-musulman et du Sahel, Christian Connan, Hugo Sada, 14 janvier 2019.
15. 63 Merits of the Helpers in Madinah, (44) Chapter : Marriage of the prophet (saws) with Aishah, Sahih al-Bukhari 3894.
16. Mariages d’enfants au Mali et au Niger : comment les comprendre ? Le Monde, Aïssa Diarra, 29 novembre 2018.
17. Her choice, mariage d’enfants.
18. Forced at 15, child marriage in Niger, a web-documentary by Dark Gibson, 2018.
19. Arthur M, Earle A, Raub A, Vincent I, Atabay E, Latz I, et al. Child marriage laws around the world: Minimum marriage age, legal exceptions, and gender disparities. J Women Polit Policy. 2018; p. 51-74.
20. Le mariage des enfants en Afrique subsaharienne : le cas du Niger, Humanium, 01er décembre 2020.
21. John NA, Edmeades J, Murithi L. Mariage d'enfants et bien-être psychologique au Niger et en Éthiopie. BMC Public Health. 2019 ; 19 p. 1–12.
22. Niger : le mariage précoce des filles, un phénomène à la vie dure , Anadolu agency, 19 avril 2023.
23. Causes et conséquences du mariage forcé, Plan international.
24. Impact of child marriage on literacy and education attaintment in Africa, Minh Cong Nguyen and Quentin Wodon, World Bank, September 2014, p1.
25. Idem 23.
26. « Morale et droit », Revue du Centre-Ouest, Poitiers, repr. in J. Carbonnier, 2001, Flexible droit, Paris, LGDJ, 10e éd.