14/6/2024
La situation au Sahel ces dernières années est marquée par la montée du terrorisme mais aussi par une série de renversements politiques au Burkina, au Mali et au Niger. Ces derniers ont porté au pouvoir des autorités militaires qui ont œuvré à une redynamisation de la politique étrangère des trois pays mis en cause, se traduisant par une rupture des relations avec l’occident et certaines instances sous-régionales. Cet article vient mettre la lumière sur les différentes actions entreprises dans ce contexte et leurs implications.
Depuis le 18 Août 2020, jour de l’arrivée au pouvoir du Colonel Assimi Goïta au Mali, plusieurs autres renversements politiques se sont également produits, notamment en Guinée (septembre 2021), au Burkina-Faso (janvier 2022 puis septembre 2022) et au Niger ( juillet 2023 ).
Cette prise de pouvoir par les militaires a été critiquée et continue de l’être. Ainsi, dès le lendemain de ces différents renversements politiques, la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est empressée de les condamner et de prendre des trains de sanctions à la fois à l’encontre de ces pays et de leurs dirigeants.
Enfin au pouvoir, les nouveaux hommes forts du Burkina, du Mali et du Niger se sont regroupés au sein d’une nouvelle institution, l'Alliance des États du Sahel (AES) en signant la charte Liptako-Gourma le 16 Septembre 2023. Ils ont opéré des changements radicaux concernant leur politique étrangère notamment dans leur rapport avec les puissances occidentales que sont la France et les États-Unis. De plus, ils se sont départis des accords les liants au cadre régional de coopération en matière de développement et de lutte contre le terrorisme (G5 Sahel), à la mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et à la CEDEAO.
L’une des premières manifestations du changement de cap en matière de politique étrangère des pays de l’AES a été leur volonté de renégocier les différents accords qui les liaient aux pays du Nord voire d’y mettre fin.
Sur le plan militaire, l’accord de coopération pour la mission Barkhane et l’accord militaire passé en 2012 entre les États-Unis et le Niger ont été tout simplement rompus. Cette initiative constitue la finalité d’une série d’actions déjà entreprises par une partie de la population de ces pays, de plus en plus réfractaire à la présence des bases françaises et américaines sur leur territoire. À titre d’exemple, les manifestations de fin 2021 au cours desquelles un convoi militaire de Barkhane avait été bloqué et caillassé au Burkina puis au Niger mais également celle du 14 août 2022, à Gao au Nord du Mali (1).
Le retrait des forces françaises s'est fait progressivement depuis, en commençant par le Mali, le 9 novembre 2022, suivi du Burkina-Faso - la fin de l'opération “Sabre” le 19 février 2023 met fin à quinze ans de présence sur le territoire - et du Niger, le 22 décembre 2023. Le 16 mars dernier, le Niger a également mis fin avec effet immédiat à son accord de coopération militaire datant de 2012 avec les États-Unis. Le 19 avril, Washington a annoncé le retrait de plus 1000 soldats déployés sur la base d’Agadez (2).
La rupture avec la France s’est observée également au niveau diplomatique. En effet, depuis la prise de pouvoir par les militaires dans les pays de l’AES, le ton est monté et le contexte politique s’est considérablement tendu, amorçant ainsi la dégradation d’un demi-siècle de bonnes relations entre ces États et l’ancienne métropole. Et même : de violentes tensions ont éclaté entre les gouvernements en place et les représentations diplomatiques françaises. Dans ce contexte pour le moins inédit, le 31 janvier 2022, les autorités maliennes ont pris la décision d’expulser l’ambassadeur français suite à ses déclarations jugées « hostiles » (3). D’ailleurs, beaucoup se rappellent le discours incisif du Premier ministre par intérim du Mali à la tribune des Nations Unies le 24 septembre 2022, où il avait traité le gouvernement français de “junte au service de l'obscurantisme”. La décision de la junte marque une détérioration spectaculaire entre le gouvernement malien et l'ancienne métropole, dont l'intervention militaire en 2013 visait à empêcher les djihadistes de marcher sur Bamako (4).
Le 22 décembre 2023, l’ambassade française a également fermé ses portes au Niger après un bras de fer qui a duré pratiquement deux mois (5). Quelques semaines plus tard, le 26 janvier 2024, le Quai d’Orsay a annoncé avoir rappelé son ambassadeur en poste à Ouagadougou pour « consultations ». Depuis, il n’a toujours pas repris ses fonctions. Enfin, le 18 avril, c’était au tour du gouvernement du capitaine Ibrahim Traoré d’expulser trois diplomates français dont deux conseillers politiques à l’ambassade pour « activités subversives » (6). Une expulsion sans motifs valables selon Paris.
Cette suite de fermetures et de renvois de diplomates d’une extrême rareté dans les pratiques diplomatiques, met ainsi en exergue la dégradation flagrante des relations entre la France et les pays de l’AES. Si la lecture des précédents entre la France, les États-Unis et les pays du Sahel peut mettre en lumière une volonté inextinguible de se départir de l’ancien colonisateur, les ambitions des pays de l’AES vont plus loin. Elles sont motivées entre autres par des intérêts nationaux qui les ont poussés à rompre également leurs relations avec la CEDEAO, le G5 Sahel et la MINUSMA.
Après le retrait du Mali le 15 mai 2022, le Burkina Faso et le Niger ont annoncé le 2 décembre 2023 leur départ de l’organisation anti-terroriste G5 Sahel. Selon Ouagadougou et Niamey, « l’organisation peine à atteindre ses objectifs ». « Pire, les ambitions légitimes de nos États, à faire de l’espace du G5 Sahel une zone de sécurité et de développement sont contrariées par des lourdeurs institutionnelles, des pesanteurs d’un autre âge qui achèvent de nous convaincre que la voie de l’indépendance et de la dignité sur laquelle nous sommes aujourd’hui engagés, est contraire à la participation au G5 Sahel dans sa forme actuelle » (7). Le départ des pays de l’AES de cette institution n’a donc rien de surprenant au regard des derniers évènements.
De plus, le 28 janvier 2024 les trois pays ont décidé de quitter la CEDEAO. Pour le général Salifou Modi, ministre de la défense du Niger, l’Organisation « s’est illustrée (…) comme une organisation de désintégration car détournée des objectifs pour lesquels elle a été créée, notamment par l’adoption des sanctions illégales, illégitimes, inédites et inhumaines imposées à nos États du fait des ingérences extérieures » (8).
En effet, après les coups d'État, la CEDEAO avait adopté des sanctions contre ces trois pays. Les États membres de l’organisation avaient décidé de la fermeture de leurs frontières et imposé un embargo sur les échanges financiers et commerciaux, à l’exception des produits de première nécessité. Ils avaient en outre décidé de la suspension des transactions financières et du gel des avoirs des pays concernés dans les banques régionales. Le Burkina quant à lui a même été suspendu des instances de l’organisation.
En plus, conformément aux textes et pratiques de l'organisation, les États-membres de la CEDEAO avaient adopté des sanctions ciblées contre les nouvelles autorités de ces États en leur interdisant de voyager dans l’un des pays membres de l'organisation.
La MINUSMA ne fut pas épargnée. Après dix ans d’existence, le Conseil de sécurité a décidé de mettre fin au mandat de la Mission à compter du 30 juin 2023 après la demande du départ « sans délai » de la MINUSMA, par le chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Pour autant, pendant que les États de l’AES dénouent certains liens d’un côté, ils en nouent et renforcent d’autres.
Le revirement de la politique étrangère des États de l'AES s’est traduit par l’abandon d’une diplomatie pro-occidentale et un rapprochement avec la Fédération de Russie. Il ne faudrait cependant pas voir la Russie comme un nouvel acteur sur le continent.
En 1960 au sein des Nations Unies, l’URSS avait grandement contribué à l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples colonisés dont ceux d’Afrique. Après les indépendances, elle s’est présentée aux États africains comme la puissance salvatrice qui leur permettrait de s’affranchir définitivement de l’ancien colonisateur. La guerre froide s’est ainsi transposée pendant plusieurs années sur le continent, Moscou proposant aux nouveaux États le modèle communiste et la politique égalitariste par opposition au modèle capitaliste libéralisé des États occidentaux. Entre 1970 et 1972, l’ex URSS est d’ailleurs devenue le deuxième fournisseur d’armements aux pays africains derrière la France.
Si les relations URSS-Afrique semblent faire bon train jusque-là dans un contexte de lutte contre l’impérialisme, le discours de la Baule de François Mitterrand du 20 juin 1990 et la dislocation de l’URSS le 26 décembre 1991 vont renverser la tendance. Le chef d’État français, en subordonnant l’aide française au respect des principes démocratiques en Afrique, va confirmer l’hégémonie de l’hexagone quand d’un autre côté le régime de Mikhaïl Gorbatchev perd pied (9).
Ce n’est qu’en 2019, que Moscou est parvenue à se rétablir sur l’échiquier politique africain avec le sommet Russie-Afrique. Tenue à Sotchi en octobre et co-présidée par Vladimir Poutine et son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi, cette rencontre destinée à sceller officiellement le retour de la Russie sur le Continent a connu la participation effective d’une trentaine de chefs d'États africains.
Depuis, à mesure que les relations entre la France et les pays de l’AES s’effritent, celles avec la Russie se renforcent et se solidifient quotidiennement surtout dans le domaine sécuritaire. Pour preuve, le Niger a réceptionné le 10 avril 2024 sa première livraison de matériel militaire russe dans le cadre de la nouvelle coopération sécuritaire russo-nigérienne. Cette coopération sécuritaire passe aussi par la mobilisation de Wagner en tant que partenaire militaire, politique et économique non-officiellement rattaché au Kremlin.
D’un autre côté, le Burkina-Faso, le Mali ainsi que la Russie entendent développer un partenariat dans le secteur nucléaire. La Russie a en effet annoncé avoir signé des accords avec ces deux pays à l’occasion de la Semaine russe de l’énergie, qui s’est tenue à Moscou du 11 au 13 octobre 2023.
Sur le plan diplomatique, il faut souligner que la Russie a également réalisé de grandes avancées dans la zone sahélienne. Le 04 septembre 2023, Vladimir Poutine s’est en effet engagé à livrer 200.000 tonnes de blé à six pays africains dont ceux de l’AES qui ont reçu 25000 tonnes chacun. Enfin, le 28 décembre 2023, la représentation diplomatique de l’ancienne URSS a été rouverte au Burkina Faso après vingt ans de fermeture confirmant ainsi le rapprochement poussé avec ce pays sahélien. La Russie n’est cependant pas la seule nation à bénéficier de ce changement de cap dans la politique étrangères des pays de l’AES.
Nul observateur de la scène géopolitique mondiale ne peut ignorer la crise qui perdure entre l’Iran et les États-Unis. C’est donc tout naturellement dans un contexte de décadence de l’influence américaine au Sahel, que l’Iran a lancé son offensive dans la région en se rapprochant des pays de l’AES. Téhéran espère ainsi pallier son isolement sur la scène internationale et accentuer son combat contre les occidentaux.
Cette offensive dans le Sahel commence le 23 août 2022 avec l’organisation de la première session de la Coopération Mixte Mali-Iran. Elle a été traduite par la conclusion de plusieurs accords notamment sur les plans économique, commercial et sécuritaire.
C’est ensuite le Burkina-Faso et le Niger qui ont conclu des accords de coopération avec l’Iran respectivement les 5 septembre 2023 et 24 janvier 2024, dans plusieurs domaines parmi lesquels : l’énergie, l'enseignement, les finances et l'urbanisme. Selon le site Africa Intelligence, le Niger serait en négociation pour la vente de 300 tonnes d’uranium à l’Iran (11). Une situation qui inquiète Washington qui surveille de près comme d’autres grandes puissances d’ailleurs la capacité d’enrichissement de matière fissile de l’Iran.
À l’analyse, ces différents accords portent essentiellement sur le secteur énergétique. Cette remarque est particulièrement intéressante quand on connaît l’importante capacité d’uranium dont regorgent les différents pays du Sahel et son importance dans la fabrication d’armes nucléaires. À préciser que même si Téhéran a nié vouloir fabriquer une bombe atomique, les autorités iraniennes ont lancé le 06 février 2024, la construction d’un nouveau réacteur nucléaire dans la ville d’Ispahan. Cette collaboration énergétique irano-sahélienne pourrait en tout cas renforcer la puissance nucléaire de l’ancien Empire Perse. Quoi qu’il en soit, le changement de paradigme dans la politique étrangère des pays de l’Alliance des États du Sahel n’est pas sans implications.
La réorientation de la politique étrangère des États de L'AES entraîne et pourrait entraîner des contre-mesures en application du principe de réciprocité dans les relations internationales. Ainsi, le 15 septembre 2023, le ministère français de l'Enseignement supérieur et de la Recherche a annoncé la suspension des visas pour les étudiants et artistes en provenance de l’AES arguant des « raisons de sécurité ». Du côté des États Unis, la participation des États de l'AES à l'AGOA (African Growth Opportunities Act) a été suspendue, en lien avec les « changements anticonstitutionnels » intervenus avec les coups d’État (12). À titre informatif, l’AGOA est un programme unilatéral de préférences commerciales accordées par les États-Unis aux pays d’Afrique subsaharienne pour faciliter leur accès au marché américain. Par conséquent, la suspension des pays de l’AES pourrait avoir de lourdes conséquences sur leurs économies extraverties. Pour l’instant, ces conséquences économiques sont relativement faibles car ces États ont développé des partenariats avec d’autres pays. En effet, le Mali par exemple, exporte majoritairement son or vers le Moyen Orient et son coton vers l’Asie et l’Europe.
Par ailleurs, la décision des pays de l’AES de quitter la CEDEAO pose le problème de la libre circulation des biens et des personnes et sonne le début d’une désintégration au sein de la communauté économique régionale la plus avancée d’Afrique.