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La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) en Europe, outil de lutte contre les discriminations : vers un recrutement vraiment inclusif ?

Citer cet article (ISO-690) :
Minouche VICTOR BASTIEN
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2025
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La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) en Europe, outil de lutte contre les discriminations : vers un recrutement vraiment inclusif ?
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CEDIRE.

Les enjeux juridiques de la RSE dans la promotion de la diversité et de l’inclusion en entreprises

D’après l’Union Européenne (UE), 5.23 millions de femmes se sentent discriminées au travail, seulement 50% des personnes en situation de handicap ont un emploi contre 75% des personnes valides et 47% des personnes LGBTQI+ ont déjà été victimes de discrimination1. Le pourcentage varie d’un pays à l’autre. Dans une étude publiée par des chercheurs dans la revue Socio-Economic Review en 2023 sur la discrimination raciale en Europe plus spécifiquement en Allemagne, Espagne et en Hollande, ces derniers ont conclu que les personnes racisées ont moins de chances d’embauche2. Une autre enquête  publiée par The Adecco Group en 2023, en France montrait que l’origine du candidat restait le premier des critères de discriminations cité (64%), suivi de l’apparence physique (50%), l’âge (44%), le handicap (34%), le sexe (30%), et les convictions religieuses (27%)3. Les discriminations à l’embauche sont donc toujours présentes en Europe malgré les divers textes juridiques contraignants qui interdisent la discrimination en général et les discriminations à l’embauche en particulier. Dès 1993, lors d’une réunion thématique du Conseil de l’Europe sur le rôle du patronat et des syndicats dans l’égalité des chances, il a été établi qu’aucun Etat d’Europe ne tolérerait la discrimination. Cependant, comme elle continue toujours d’exister, l’une des questions principales doit être « que faites-vous pour traiter ce problème ou veiller à ce que la discrimination ne devienne jamais un problème ?4 ». Actuellement, dans l’environnement des affaires, la responsabilité sociale des entreprises semble être un levier face à la problématique de la discrimination à l’embauche.

Au cours des dernières années, il est possible de constater une revendication d’obligations, de responsabilités sociales qui est demandée aux entreprises. Ces obligations relèvent de l’ordre environnemental, social et sociétal. Depuis l’avènement de la Responsabilité Sociétale (ou Sociale) des Entreprises (RSE), les entreprises ne sont plus perçues et acceptées comme étant des « simples agents économiques générateurs de richesses » mais plutôt de vrais acteurs engagés. Les entreprises se doivent ainsi d’être vigilantes dans leurs activités et dans toute leur chaîne de valeurs. C’est ce qu’on appelle le devoir de vigilance. Il découle des recommandations et des principes élaborés par l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) et l’Organisation Internationale du Travail (OIT).Ce principe a été reconnu légalement pour la première fois dans le monde en France par la loi n°2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre qui établit une obligation d’identifier les risques actuels et potentiels, de prévenir et réparer les violations de droits humains.

La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est devenue un enjeu incontournable dans le monde du travail. Elle est définie par la Commission Européenne comme étant « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société5 ». En d’autres termes, la RSE est la « contribution des entreprises aux enjeux du développement durable6 ». La norme ISO 26000, norme internationale de référence publiée en 2010, base la RSE autour de sept thématiques principales dont l’environnement, les relations et conditions de travail et les droits Humains. En effet, la RSE englobe un ensemble de pratiques qui visent à intégrer des considérations sociales, éthiques et environnementales dans les stratégies d'entreprise. De plus en plus, au niveau de ces considérations, la diversité et l’inclusion occupent une place prépondérante. Ce volet se révèle d’une très grande importance car il permet de contribuer à créer un environnement de travail équitable et respectueux. Bien qu’elle ne traite pas directement à la RSE, il convient de noter également la norme ISO 9001, elle, peut être intégrée dans une démarche RSE. Elle met l’accent sur l’amélioration continue des processus et inclut la prise en compte des besoins et attentes des différentes parties intéressées. Elle permet ainsi de renforcer les initiatives prises en matière de RSE. 

La discrimination, quant à elle, peut être définie comme « une inégalité de traitement fondée sur un critère interdit par la loi.7 » La non-discrimination inclut qu’aucune personne ne doit être traitée de manière inégale sur la base de caractéristiques personnelles ou sociales. L’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne interdit toute discrimination fondée entre autres sur le sexe, la race, l’origine ethnique, un handicap ou l’orientation sexuelle. La non-discrimination est un principe fondamental qui vise à garantir l’égalité des chances et des droits. Dans le cadre d’une entreprise, elle conduit à une culture de diversité et d'inclusion . La Commission Européenne a adopté plusieurs stratégies qui visent à affirmer l’engagement de l’Union Européenne pour la diversité et l'égalité au travail. Il n’existe pas de définition légale pour ces deux notions (Le terme diversité est indiqué à l'article 22 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne). Cependant, il est possible de les appréhender à partir de définitions communes. Par diversité, il faut entendre la variété des différences entre les individus dans une institution ou une entreprise donnée. Cela inclut des dimensions visibles, comme le sexe, la race, l'âge, et des dimensions moins visibles, comme l'orientation sexuelle, le statut socio-économique, les compétences, et les expériences. En d’autres termes, il existe une pluralité de profils dans une équipe. D’un autre côté, l’inclusion doit être comprise comme la manière dont ces diversités sont accueillies et valorisées dans les différentes activités de l’entreprise. Elle représente le fonctionnement harmonieux, cohésif de l’équipe plurielle. Par exemple, dans cet ordre d’idées, une entreprise inclusive favorise la participation de tous les employés, en leur donnant les moyens de s'exprimer et d'apporter leur contribution, quel que soit leur profil.

Il découle donc de ce qui précède que la portée du principe de l’égalité consacré par plusieurs conventions internationales comprend également l’égalité des chances ou encore l’égalité professionnelle. C’est un principe fondamental qui consiste à garantir à tous les individus, indépendamment de leur statut ou de leurs origines, les mêmes chances d’accéder au marché de l’emploi. Dans l’objectif de rétablir une égalité de chances mise en cause par les différents types de discriminations, plusieurs pays ont mis en place une politique de discrimination positive. Cette notion implique un traitement différencié mais justifié entre individus ou groupes. En effet, la discrimination positive « consiste à avantager certains groupes d’individus sujets à des discriminations systématiques par un traitement préférentiel afin de réduire les inégalités entre les personnes. » D’une manière générale, ce traitement doit être fondé sur des critères établis par la loi et concerner une situation spécifiée par celle-ci. En France, cette politique concerne les femmes et les personnes handicapées mais ne prend pas en compte les considérations ethniques. Dans certains cas, cette discrimination positive passe par l’établissement de quotas obligatoires à respecter. Cependant, cette pratique, bien qu’elle vise à lutter contre la discrimination, peuvent être contournées par des pratiques superficielles qui limitent leur efficacité. En effet, certaines entreprises peuvent recruter des personnes appartenant à des minorités ou en situation de handicap uniquement dans le but de répondre aux quotas établis, sans véritable engagement envers leur intégration ou leur développement professionnel. Cela crée, ainsi, une illusion de diversité sans un véritable changement dans la culture organisationnelle.

Appliquer une politique de RSE implique pour l’entreprise de prendre en compte la mesure, les conséquences de ses actions sur la société et d’agir de manière à limiter les retombées négatives. Cependant, l'un des principaux défis de la RSE réside dans sa mise en pratique face aux réalités du marché du travail, en particulier en ce qui concerne la discrimination à l'embauche. Comment les entreprises qui mettent en avant une politique de RSE peuvent-elles concilier leurs engagements envers la diversité et l'inclusion avec des pratiques qui peuvent, intentionnellement ou non, favoriser des discriminations ? Quels sont les enjeux juridiques et éthiques qui se posent, et quelles perspectives peuvent être envisagées pour améliorer la situation ? Pour bien comprendre et mieux cerner les enjeux et les perspectives juridiques de l’onglet diversité et inclusion compris dans la RSE, il est important d’analyser tout d’abord le cadre légal au niveau européen et ensuite certaines décisions des juridictions du système européen. Dans cette analyse, par système européen, il faut comprendre le droit de l’Union Européenne mais aussi des références au droit du Conseil de l’Europe.

I- De l’obligation légale à l’engagement RSE : l’évolution certaine de la non-discrimination

La RSE s’est beaucoup imposée dans les entreprises d’abord par le moyen de l’autorégulation. Elle correspondait ainsi à un ensemble de règles volontaires non contraignantes observées par les entreprises dans le but de répondre à des exigences sociétales. Ensuite, au fil du temps, un cadre juridique s’est développé pour garantir la mise en place de ces règles sans compter uniquement sur la bonne volonté des entreprises. Les règles contraignantes permettent de pallier le déficit de la légitimité, de la crédibilité des démarches volontaires ainsi que de la mise en œuvre des règles de RSE. Le cadre légal relatif à la RSE varie d’un pays à l’autre. Au niveau européen, il existe tout un cadre juridique assez solide qui encadre la RSE ainsi que son versant diversité et inclusion. Pour assumer la responsabilité sociétale, les entreprises doivent tout mettre en œuvre pour respecter les obligations contenues dans les différents textes de lois et conventions qui se rapportent aux domaines qui forment le périmètre de la RSE.

Des règles établissant l’interdiction de la discrimination sont dans la charte européenne des droits fondamentaux ainsi que dans différentes directives européennes. En dehors de toutes considérations liées aux prérogatives de la RSE, l’UE a adopté des textes contre la discrimination depuis le début. En effet, la discrimination est interdite depuis le traité de Rome signé en 1957. Depuis 1970, l’UE a adopté 16 actes législatifs pour garantir aux hommes et aux femmes un traitement équitable que ce soit lors du recrutement et dans le milieu du travail de manière globale.

La directive sur la divulgation d’informations en matière de durabilité (CSRD) qui remplace l'ancienne directive sur le reporting non financier (NFRD), impose à toutes les sociétés exceptées aux micro entreprises, cotées sur les marchés réglementés européens, de rendre compte de leur impact en matière de durabilité, y compris la diversité et l'inclusion. Elle vise à améliorer la transparence des entreprises concernant leur performance sociétale. Dans cette directive, dès le préambule, il est possible de voir la volonté du législateur de mettre en place l’obligation pour les entreprises de publier des informations sur la non-discrimination, la diversité et l’inclusion. Ces informations doivent tenir compte des incidences de l’entreprise sur les personnes. L’article 1er de cette directive modifie la directive 2013/34/UE ; dans la section information en matière de durabilité, le paragraphe 5 point g)8, fait obligation aux entreprises visées par la directive d’inclure dans leur rapport de gestion une déclaration sur le gouvernement d’entreprise qui comprend une description de la politique de diversité appliquée par l’entreprise. Cette mention doit comprendre également les objectifs, les modalités de mise en œuvre, les résultats obtenus et doit justifier toute absence d’une telle politique.

L’un des concepts principaux de la directive CSRD est la double matérialité. Cette notion implique l’impact de l’environnement, de la société sur l’entreprise et inversement celui de l’entreprise sur la société. Son objectif est de permettre aux entreprises d’évaluer de manière complète et équilibrée les enjeux de la durabilité9. En matière de discrimination à l'embauche, cette approche  nécessite que les entreprises prennent en compte, d'une part, les effets de ces pratiques sur leur performance, et d'autre part, leur rôle dans la promotion de l'égalité et de l'inclusion dans la société. Autrement dit, les entreprises doivent favoriser l'égalité des chances en instaurant des processus de recrutement clairs et équitables, en formant leurs équipes sur les enjeux liés à la discrimination et en évaluant leurs politiques internes dans le but de les améliorer. Par ailleurs, elles doivent prendre conscience que des pratiques discriminatoires et le non-respect de l'égalité des chances peuvent restreindre leur capacité à attirer des talents diversifiés, entraîner des poursuites judiciaires et nuire à leur réputation, ce qui pourrait impacter leur performance et, à terme, leur viabilité. Les informations qui doivent être contenues dans les rapports extra financier sont encadrées par les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) qui sont prévues par la directive CSRD. Pour valider leur rapport, les entreprises doivent fournir des informations conformes à ces normes. Parmi ces 12 normes ESRS, il y en a une qui porte sur les obligations d’informations à fournir sur les conditions de travail, l’égalité de traitement, de chances et autres droits liés au travail10.

En 2000, l’Union Européenne, l’UE a voté une nouvelle législation. La directive 2000/43/CE11, la directive 2000/78/CE12 et la directive 2002/73/CE13 interdisent la discrimination fondée sur la race, l'origine ethnique, le sexe, le handicap, l'âge, et d'autres critères dans le domaine de l'emploi. Cette dernière directive définit quatre types de discriminations : la discrimination directe, la discrimination indirecte, le harcèlement et l’injonction à la discrimination. Elle incombe également la charge de la preuve à la défense. Les normes de ESRS (European Sustainability Reporting Standards) viennent compléter ces directives. En effet, alors que les directives susmentionnées visent à établir les normes permettant de lutter contre la discrimination au niveau européen, les normes ESRS tendent à définir un ensemble d’indicateurs et de normes qui doivent figurer dans les rapports extra financiers des entreprises. 

Au sein du Conseil de l’Europe, la Charte sociale européenne garantit à chacun le droit de jouir sans discrimination les droits sociaux qui y sont consacrés. En effet, l’article 1§2 de la charte traite de la discrimination directe ou indirecte dans l’emploi. L’article E de la charte sociale ainsi que l’article 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) traite également de l’interdiction de la discrimination de manière générale.

Au-delà de toutes considérations juridiques, la diversité et l’inclusion constituent de véritables leviers de performance pour les entreprises14. Elles peuvent permettre à une entreprise de diversifier sa main d’œuvre, ses perspectives, à enrichir les décisions par une prise en compte des différentes perceptions que peuvent apporter les différences, l’optimisation de l’image de marque15 ainsi que la compréhension du marché. Elles sont même susceptibles de participer à la réalisation d’une justice sociale, par le fait même qu’elles permettent de contribuer à une meilleure représentation des groupes et minorités sous-représentés. Par ailleurs, l’un des buts de la RSE est de contribuer à une économie qui corrige les inégalités16. Ce dernier avantage leur permet entre autres de réaliser leurs objectifs RSE. En effet, comme susmentionné, l’un des critères de la RSE est le respect des droits de l’Homme, lutter contre toute discrimination et promouvoir la justice sociale en font partie depuis la déclaration universelle des droits de l’Homme. La philosophe Adelaïde de Lastic disait justement17 : « Une organisation peut avoir une démarche d’inclusion sans RSE, mais il n’est pas possible de mettre en œuvre une démarche de RSE sans inclusion. »

Dans le cadre de toute politique de RSE, la mise en place de la diversité et de l’inclusion passe par l’engagement concret des entreprises. Cet engagement se traduit par des mesures et des initiatives concrètes dans ces domaines ; par exemple la formation des cadres et des équipes de recrutement afin qu’ils soient sensibilisés sur la question, ou les processus de recrutement mis en place qui doivent viser à éviter toutes formes de discriminations pour au contraire favoriser l’égalité des chances. Les chefs d’équipe doivent également instaurer des pratiques inclusives pour le bien de tous les collaborateurs. Il convient aussi d’établir des indicateurs de performance pour mesurer l’impact des politiques adoptées. Ces actions et leur portée doivent être visibles non seulement dans la politique générale de l’entreprise mais aussi dans sa performance, dans sa gouvernance. Cette politique en faveur de la non-discrimination est également visible dans les différents rapports publiés par l’entreprise et parfois les labellisations obtenues sont une forme de reconnaissance de l’engagement de l’entreprise. Pour atteindre ces objectifs, jusqu’à un certain niveau, les lois nationales établissent des quotas. Par exemple, en France, les entreprises de 20 salariés au moins, doivent embaucher des travailleurs handicapés qui doivent représenter au moins 6% de leur effectif ; il existe également une obligation de quota pour promouvoir l’accès des femmes à certains postes. L’une des aunes de l’efficacité des règles RSE liées à la discrimination à l’embauche réside dans le suivi de l’efficacité et de la mise en œuvre des politiques de diversité et inclusion de la RSE.

II- Le rôle de la jurisprudence européenne dans la promotion du principe de l’égalité en matière de RSE

L’analyse des réponses de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) revêt encore aujourd’hui une grande importance dans la mesure où celles-ci construisent et assurent le respect du droit par l’interprétation et l’application du droit de l’UE. Dans plusieurs arrêts, il est possible de constater la protection accordée par la Cour à la lutte contre la discrimination à l’embauche.

Dans son arrêt du 25 avril 2013 dans l’affaire C-81/12, Accept18, la Cour avait jugé discriminatoire les propos d’un actionnaire d’un club de football qui avait déclaré qu’il ne voulait pas de joueurs homosexuels dans l’équipe. Bien que l’actionnaire n’était pas juridiquement l’employeur, la Cour a pris en compte la perception des médias et de la société, et a considéré les propos comme étant des « faits susceptibles de présumer une discrimination » conformément à l’article 2 paragraphe 2 et l’article 10 paragraphe 119. La Cour a renforcé la jurisprudence portant sur la protection contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle en affirmant que les propos sont discriminatoires en matière d’emploi alors même qu’ils émanent d’un actionnaire qui n’est pas l’employeur du club. La CJUE encadre également la discrimination de l’embauche fondée sur l’âge dans l’affaire 670/18 CO contre commune di Gesturi20.

En 2020, la Cour a étendu sa protection contre les discriminations dans l’emploi dans l’arrêt du 23 avril 2020, (C – 507/18) N.H. c. Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI – Rete Lenford. En l’espèce, une association de défense des droits des personnes LGBTI a introduit une demande de réparation contre un avocat italien N.H. qui a tenu des propos discriminatoires contre cette communauté dans une émission de radio. Il déclare qu’il refuserait de recruter et de collaborer avec des personnes homosexuelles dans son cabinet. La Cour de cassation italienne a posé deux questions préjudicielles à la CJUE dont l’une d’entre elles consiste à savoir si les propos de l’avocat N.H. sont couverts par la liberté d’expression ou s’ils relèvent du champ d’application de la directive 2000/78, d’autant plus qu’au moment de la déclaration de l’avocat, le cabinet n’avait aucun processus de recrutement en cours. En d’autres termes, peut-on considérer les termes de l’avocat comme des conditions d’accès à l’emploi et au travail ? Selon la Cour, l’absence de procédure de recrutement n’est pas décisive pour déterminer si les déclarations portent sur une procédure de recrutement, cependant elles doivent pouvoir être rattachées à « la politique de recrutement d’un employeur donné, ce qui impose que le lien qu’elles présentent avec les conditions d’accès à l’emploi ou au travail auprès de cet employeur ne soit pas hypothétique.21 » Dans cet arrêt, la Cour précise que le fait qu’une telle interprétation puisse potentiellement restreindre la liberté d’expression ne la remet pas en question. La Cour a souligné que la liberté d’expression n'est pas un droit absolu et que son exercice peut inclure des limitations, à condition qu'elles soient établies par la loi et qu'elles préservent le contenu essentiel de ce droit, tout en respectant le principe de proportionnalité.

Au niveau du Conseil de l’Europe, le Comité européen des droits sociaux a adopté des conclusions qui s’appliquent aux versants de la discrimination à l’embauche. L’un des points importants dans la jurisprudence du Comité européen des droits sociaux est leur appréhension de la notion d’entreprise, élément clé à l’application des règles de RSE. Si pour l’Union Européenne, les universités sont considérées comme des entreprises par le fait que l’article 2 de la Directive 2002/14/CE22, qui définit le terme entreprise comme exerçant une activité économique à but non lucratif ou non, et tel qu’il en ressort également de l’affaire UAB « Manpower Lit » contre E.S. e.a. du 1 novembre 202123, une décision récente du comité européen des droits sociaux a établi que les universités ne sont pas des entreprises. Bien qu’elles soient engagées dans une activité économique et évoluent dans un milieu concurrentiel, les universités publiques n’exercent pas leurs activités dans un but financier et sont de ce fait considérées comme des « entités à but non lucratif »24. Cette exclusion des universités publiques de la notion d’entreprises implique que les règles de RSE ne leur sont donc pas imposables.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme s’est déjà prononcée à plusieurs reprises sur le sujet de la discrimination à l’embauche. Seulement, ces décisions, aussi importantes soient-elles, ne se rapportent pas directement à l’analyse de la législation liée aux règles de RSE appliquées à cette problématique. En effet, la Cour repose ses motivations sur la base de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et ses conclusions ne se rapportent pas particulièrement aux entreprises. Il en est de même pour le comité européen des droits sociaux qui applique le droit du conseil de l’Europe à travers ses différentes décisions. Cependant, ces jurisprudences sont pertinentes dans le contexte de la RSE car les règles de droit prises en considération s’appliquent pour le respect des droits humains qui reste un aspect important de la RSE.

Une application efficace des principes de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) représente un levier essentiel dans la lutte contre la discrimination à l'embauche. Néanmoins, malgré la reconnaissance par de nombreuses entreprises de l'importance de la diversité et de l'inclusion, des obstacles subsistent concernant la mise en œuvre réelle de ces principes. Certaines entreprises adoptent des politiques de RSE principalement pour améliorer leur image, sans véritable engagement, ce qui peut donner lieu à des initiatives superficielles ne s'attaquant pas aux racines de la discrimination.

L'un des principaux défis liés à la RSE est d'évaluer son impact réel sur la lutte contre la discrimination. Les entreprises doivent établir des indicateurs clairs et des méthodes d'évaluation pour suivre leurs progrès, bien que la collecte de données sur la diversité puisse être complexe et soulever des préoccupations en matière de confidentialité. De plus, sans une évaluation approfondie, ces initiatives risquent de rester superficielles et de ne pas entraîner de changements significatifs.

Un autre obstacle à la mise en œuvre des règles de RSE en matière de discrimination à l'embauche est la persistance des biais inconscients, même avec une sensibilisation accrue. Les entreprises doivent élaborer des programmes de formation efficaces pour aider les recruteurs à identifier et à surmonter ces biais, ce qui peut nécessiter des ressources considérables.

L'essor des technologies dans le recrutement, notamment l'intelligence artificielle, introduit également des défis. Si ces outils ne sont pas conçus en tenant compte de la diversité, ils peuvent renforcer, voire aggraver, les biais existants. Il est crucial que les entreprises soient conscientes des risques liés à l'automatisation du processus de recrutement et veillent à l'équité de leurs algorithmes.

Par ailleurs, certaines entreprises utilisent la RSE comme un outil de communication pour améliorer leur image de marque sans mettre en place de véritables changements. Ce phénomène, souvent désigné par le terme "greenwashing", peut également se manifester dans le domaine de la diversité, où les actions se limitent parfois à des campagnes de sensibilisation ou à des déclarations publiques, sans mesures concrètes pour favoriser la diversité à tous les niveaux de l'organisation. Les objectifs de RSE en matière de lutte contre la discrimination à l'embauche doivent aller au-delà de simples chiffres et viser une inclusion véritable.

Conclusion

Lutter contre la discrimination à l’embauche et dans l’emploi de manière générale reste un enjeu important et actuel. L’objectif de développement durable No 8 illustre bien cette nécessité. Il tend à promouvoir « le plein emploi productif et un travail décent pour tous » spécialement avec les points 8.5 et 8.6 qui concernent un emploi décent, un salaire égal pour un travail égal pour toutes les femmes, tous les hommes, les jeunes et les personnes handicapées25. Il en est de même pour l’ODD no 5 qui porte sur l’égalité de genres et vise à mettre fin à toutes les formes de discriminations contre les femmes et l’ODD no 10 qui traite de la réduction des inégalités notamment celles salariales fondées sur des critères comme le sexe, l’âge, le handicap. Ces points renforcent l’idée que la lutte contre la discrimination est essentielle pour accomplir cet objectif. Pour l’atteindre, il faut veiller à l’effectivité des règles mises en place pour encadrer le respect des droits humains dans le monde des affaires. Cependant, si la non-discrimination à l'embauche est une obligation légale qui proscrit toute forme de considération non professionnelle lors du recrutement, comment les entreprises peuvent-elles promouvoir la diversité, qui implique nécessairement de prendre en compte des facteurs tels que l'origine, la race, le genre et le handicap ?

[1] Union Européenne, Let's make it work/ L'égalité. Consulté le 20 novembre 2024.

[2] Javier G Polavieja, Bram Lancee, María Ramos, SusanneVeit, Ruta Yemane, In your face: acomparative field experiment on racial discrimination in Europe, Socio-Economic Review, Volume 21, Issue 3, July 2023, Pages1551–1578

[3] CommissionEuropeenne, “Etudesur la discrimination à l’embauche, 21 mars 2023.

[4] Conseil de l’Europe, Réunion sur «Le rôle du patronat et des syndicats dans la promotion de l’égalité des chancesdans le secteur de l’emploi » document de travail établi par JohnCarr, octobre 1993, p 2

[5] Communication de la Commission auParlement Européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et aucomité des régions Responsabilité sociale des entreprises : unenouvelle stratégie de l'UE pour la période 2011-2014 /*COM/2011/0681 final */ point 3.1.

[6] Ministère Territoires EcologieLogement «La responsabilité sociétale des entreprises ». Mis à jour le 7 janvier 2021

[7] Ministère du travail et de l’emploi«Discriminations à l’embauche, de quoi parle -t-on ? ». Publié le 15 avril 2016.

[8] Directive(UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 modifiant lerèglement (UE) no 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière dedurabilité par les entreprises

[9] BPIFrance, «La double matérialité CSRD : un concept au service de la RSE » Publié le 24juillet 2024.

[10] Bures Quentin, «ESRS et CSRD : comment comprendre les standards de reporting dans la directiveeuropéenne ? », 15 août 2024.

[11] Directive2000/43/CE du Conseil de l’Union Européenne du 29 juin 2000, Égalité detraitement sans distinction de race ou d’origine ethnique

[12] Directive2000/78/ce du Conseilde l’Union Européenne du 27 novembre 2000 portantcréation d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matièred'emploi et de travail

[13] Directive2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 modifiant ladirective 76/207/CEE du Conseil relative à la mise en œuvre du principe del'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès àl'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditionsde travail

[14] Lefebvre Dalloz “Diversitéet inclusion : les nouveaux enjeux pour l’entreprise ». Publié le 3juin 2024.

[15] Périé, Paul «La diversité dans les entreprises : responsabilité sociale ou opportunitééconomique ? », 30 avril 2019.

[16] Plateforme RSE «Responsabilité sociétale des entreprises : une ambition partagée SynthèsePropositions des parties prenantes pour les rendez-vous de 2022 », Décembre2021. P 8.  

[17] Consultante chercheuse en RSE eten Ethique des Organisations

[18] CJUE,Asociaţia Accept contre Consiliul Naţional pentru Combaterea Discriminării, Arrêt de laCour (troisième chambre) du 25 avril 2013

[19] Op. cit. §74

[20] CJUE,Affaire C-670/18, CO contre Comune di Gesturi, Arrêt de laCour (huitième chambre) du 2 avril 2020.

[21]CJUE,affaire C‑507/18, NH contre Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI – ReteLenford, arrêt de la Cour (grande chambre) 23 avril 2020, §43

[22] Directive2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant uncadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dansla Communauté européenne,

[23] Cour de Justice de l’UnionEuropéenne (CJUE),Affaire C-948/19, UAB « Manpower Lit » contre E.S. e.a., Arrêt de laCour (deuxième chambre) du 11 novembre 2021

[24] Comité européen des droits sociaux(CEDS), Réclamationn° 211/2022, Syndicat des Agrégés de l’Enseignement Supérieur (SAGES) c. France, 15 mai2024,§66-69

[25] L’agenda 2030 en France, lesite des objectifs de développement durable, publié le 7mars 2024.

La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) en Europe, outil de lutte contre les discriminations : vers un recrutement vraiment inclusif ?

Le principe de non-discrimination figure dans divers textes juridiques au niveau européen. Néanmoins, dans les faits, la discrimination demeure un problème persistant. Concernant l'emploi, plusieurs études révèlent que la discrimination à l'embauche est encore d'actualité en Europe. Au niveau des entreprises, la dimension diversité et inclusion de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) se présente comme un levier important pour combattre cette discrimination. En effet, la RSE, qui cherche à intégrer des préoccupations sociales, environnementales et économiques dans les activités des entreprises, met de plus en plus l'accent sur la nécessité de promouvoir la diversité et l'inclusion au sein des entreprises. Par ailleurs, l'un des domaines abordés par la RSE, selon la norme ISO 26000, concerne le respect des droits humains. Cet article a pour objectif d'explorer le cadre légal européen ainsi que certaines décisions et perspectives liées à la dimension diversité et inclusion de la RSE.
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