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La jeunesse libanaise au coeur des contestations de 2019

24/1/2025

Citer cet article (ISO-690) :
Nawal ABBAS
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2025
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La jeunesse libanaise au coeur des contestations de 2019
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CEDIRE.

La jeunesse libanaise : quel rôle dans les mouvements sociaux ?

Le 17 octobre 2019, les Libanais descendent dans les rues pour demander justice, unis par un sentiment d’unité et de solidarité. La jeunesse, bien qu’elle n’ait pas connu la guerre civile, s’engage pour la survie de la population libanaise (Ishac Diwan). Face à une crise économique dévastatrice pour une grande partie du pays, ces jeunes expriment un sentiment profond de révolte et le désir d’un renouveau. 

Dire que cette mobilisation serait causée par l’apparition de la taxation des services gratuits de télécommunication serait ignorer les problèmes économiques et structurels faisant partie intégrante de la conjoncture libanaise, ancrés dans le pays depuis les années 1990. 

L’idée d’imposer une taxe de 20 centimes de dollars (soit 18 centimes d’euros) par appel viserait à restaurer les finances libanaises. Les moyens de télécommunication restant inaccessibles pour une grande partie de la population libanaise à cause du coût élevé des forfaits mobiles et des infrastructures de télécommunication défaillantes, cette taxe est perçue comme une attaque contre la population, et non comme une solution aux problèmes économiques que traverse le pays. Cela révèle un décalage profond entre les élites politiques et la vie du peuple libanais.

Le soir même, le gouvernement Hariri décide d’annuler ladite taxe. 

C’est ainsi que trois jours plus tard, le 20 octobre 2019, des centaines de milliers de Libanais en quête de justice abondent les rues de la capitale. Toute cette effervescence populaire ne saurait se réduire à un simple sentiment de mécontentement. En effet, ses racines puisent dans un champ de promesses non tenues dans le pays du Cèdre. Les manifestations s’étendent désormais au-delà de la capitale, traduisant une remise en question plus large du système politique libanais. Leurs voix unies chantent des slogans frais et familiers, qui marqueront l’histoire du pays. Un des termes largement utilisé est Thawra, qui signifie littéralement “révolution”, empruntant sa force aux mouvements qui ont jadis secoué le monde arabe et incarne l'esprit de révolte. Cette devise, autrefois scandée de Tunis au Caire, en passant par Sanaa et aujourd’hui Beyrouth, transcende les frontières nationales, et unit les peuples arabes dans une même quête de justice sociale et de démocratie. Dans le contexte libanais, thawra devient le symbole d'une jeunesse qui refuse les compromis. 

Le contexte libanais après la guerre civile ; une génération sacrifiée 

Pour comprendre les raisons d’une telle mobilisation, il convient de poser un contexte à la situation économique libanaise. Selon un rapport de la Direction générale du Trésor français sur la situation macroéconomique et financière du Liban, la dette publique libanaise est passée de 181% de son PIB en 2021 à 280% en 2022. Pour mettre ces chiffres en perspective, selon un rapport de l’INSEE, la dette publique française s’élève à environ 112% de son PIB en 2023. 

L’accélération de la crise financière et socio-économique que connaît le pays depuis octobre 2019 représente une source de préoccupation majeure pour les Libanais, notamment pour les plus jeunes.

S’ajoute à cette situation l’afflux massif de réfugiés syriens fuyant la guerre de Bachar al-Assad débutée en 2011. Par ailleurs, un rapport du cabinet de conseil McKinsey dresse un tableau alarmant de la réalité socio-économique libanaise. Le taux de chômage atteint des niveaux dramatiques : entre 15 et 20% de la population active se retrouve au chômage, allant jusqu’à 48% pour les plus jeunes d’entre eux, témoignant d'une crise de l'emploi sans précédent. Cette situation pousse une grande partie de la jeunesse à chercher un avenir meilleur en dehors du pays, privant le cèdre de sa meilleure sève. 

Dans un pays où les coupures d’eau et d'électricité font partie du quotidien de millions de Libanais 30 ans après la guerre civile, il est également question d'une pression générale contre une gestion défaillante des ressources essentielles. Selon un rapport de Solidarités International, c’est 78% des Libanais qui sont connectés au réseau d’eau potable publique, de mauvaise qualité. Ainsi, cela les contraint à pourvoir 75% de leurs besoins en eau par des fournisseurs privés. La situation du secteur électrique est également alarmante : selon un rapport de la Direction générale du Trésor français, Électricité du Liban (EDL) ne fournit que 4 à 6 heures d’électricité par jour à la population. 

Cette dégradation des services publics touche aussi d’autres secteurs vitaux du pays, comme la santé. Le mercredi 14 septembre 2022, un acte désespéré secoue la société libanaise. Sali Hafez, devient malgré elle l'héroïne d’une histoire tragique qui réunit bon nombre de libanais. Arme factice à la main, cette jeune architecte parvint à s’attaquer à une banque pour récupérer une somme d’argent, nécessaire pour couvrir les frais médicaux de sa sœur. Son geste résonne dans le pays entier comme un cri de rage contre un système qui abandonne ses citoyens, livrés à eux-mêmes face au désespoir.

Les Libanais font aussi face à une crise systémique de l’éducation. Le système éducatif, autrefois considéré comme racine de la société voulue élitiste du Liban, se voit pourrir. En 2023, près de 30% des établissements privés se voient réduire leur capacité d'accueil, tandis que 10% ont définitivement fermé leurs portes. Le secteur public, déjà sous-financé, peine à absorber l'afflux d'élèves issus des familles ne pouvant plus payer les frais des écoles privées. Les conséquences sont dévastatrices, notamment deux ans après, en résultat de la crise du Covid 19. Nombreux sont les enfants se retrouvant en classe supérieure sans avoir pu acquérir les bases de lecture ou de calculs. Cette crise menace l’avenir d’une génération sacrifiée, et compromet ainsi le développement à long terme du pays. 

Le rôle des nouveaux médias amenés par une nouvelle génération ? L’aspiration d’une jeunesse en quête de justice sociale

La jeunesse libanaise s'est emparée des outils numériques pour forger une nouvelle langue contestataire, comme cela pouvait être le cas lors des contestations égyptiennes de 2011. En transformant les réseaux sociaux de manière stratégique et efficace, chaque post devient une force de justice sociale, rassemblant chaque communauté autour d’un hashtag.  Des initiatives comme Mégaphone, ou lebanonrevolts.weebly.com, diffusent une lumière blanche sur les réalités du pays, dans un paysage médiatique réinventé par chacun. Chaque post devient tribune, où s'expriment les espoirs d'une génération souhaitant remodeler les contours d'un Liban nouveau, affranchi des clivages anciens et de la corruption endémique. 

En contournant les médias traditionnels, comme Al Jazeera, Al Manar, Al Mayadeen ou encore MTV, souvent rattachés à des factions politiques, la jeunesse libanaise réussit à créer via de nouvelles plateformes un espace de dialogue inclusif, où les idées priment sur les appartenances religieuses et politiques. 

Vers une action sociale transcendant les différences communautaires ? 

De nombreuses affaires de corruption suscitent l’indignation au Liban, et l’affaire Riad Salamé, ancien gouverneur de la Banque du Liban, en est un exemple parfait. Accusé de détournement de fonds de près de 40 millions de dollars, il est arrêté en septembre 2024. Classé 149e sur 180 pays en matière de corruption selon Transparency International, ce nouveau scandale s’inscrit dans un contexte de corruption quasi-systématique au Liban.  Ce classement met en lumière l'ampleur de la corruption qui gangrène le pays depuis des années, renforçant un sentiment douloureux de frustration parmi les jeunes libanais.

Cette frustration atteint son apogée à travers un slogan symbolique des protestations de 2019, kellon yaane kellon, “tous, c’est-à-dire tous”. Pouvant être jugé assez simple, il résonne néanmoins comme un cri de ralliement. Ces trois mots montrent le profond besoin d’un remaniement de la société libanaise, abandonnant tout clivages confessionnels et politiques, et à l'aspiration à une gouvernance basée sur la compétence et l'intégrité plutôt que sur le clientélisme et le sectarisme. Ce slogan devient symbole d'une jeunesse qui refuse les compromis, acceptés pendant longtemps par leurs aînés. Sa parole porte l'espoir d'un Liban uni, où la refondation complète du système politique et social du pays se ferait sans exception. 

Cependant, ce sentiment n’est pas partagé par tous. Pour comprendre l’histoire de la politique libanaise, il est important de comprendre l’importance du système za’im (chef ou patron, désigne les dirigeants de groupes politiques dans le contexte libanais). Les affiliations politiques au sein de certaines communautés, notamment chez les plus anciens, attachés à des partis où on perçoit l'affiliation communautaire primant sur les préoccupations sociétales, où  “le slogan phare de la révolution « kellon yaane kellon » (Tous, c’est à dire tous) s’arrête aux frontières de son allégeance” (l’Orient le Jour). 

Conclusion 

La jeunesse libanaise, en refusant les traditionnels clivages communautaires, réinvente les codes de l’action sociale. En détournant les outils numériques au profit de la lutte sociale, elle démontre sa capacité à proposer une approche holistique, en incarnant l’espoir d’un Liban uni. 

Son usage des traditionnels slogans émet une critique radicale et incarne l’espoir d’une refonte systémique, où la compétence et l’intégrité remplacent enfin le clientélisme et le confessionnalisme, enracinés au cœur des rouages politiques libanais. Cela incarne l'espoir d'un Liban uni, où la citoyenneté transcende enfin les barrières confessionnelles.

  1. FES, La crise économique libanaise et ses effets sur les jeunes, [consulté le 08/12/2024]
  2. Cairn, Revue Confluences Méditerranée, 2024, 2, 139.,[consulté le 08/12/2024]
  3. Amnesty International, Lebanon’s October 2019 protests weren’t just about the WhatsApp tax, [consulté le 12/12/2024]
  4. Ministère de l'Économie et des Finances, Le Liban - Cadrage général., [consulté le 10/12/2024]
  5. TV5Monde, Liban : Pourquoi cette insurrection ?,[consulté le 18/01/2025]
  6. Cairn, Le Liban., [consulté le 08/12/2024]
  7. L'Orient-Le Jour, Ces Libanais fidèles à leur zaïm jusqu’au bout du naufrage. [consulté le 15/12/2024]
  8. Transparency International, Corruption Perceptions Index 2020, [consulté le 08/12/2024]
  9. Cairn, Revue Les Cahiers de l’Orient, 2013, 4, 25, [consulté le 15/12/2024]

La jeunesse libanaise au coeur des contestations de 2019

Dans un Liban affaibli par son gouvernement, la jeunesse, longtemps marginalisée dans les débats sociétaux, émerge comme un acteur clé des contestations de l’automne 2019. Revendiquant un renouveau politique, elle affirme son rôle central dans la quête de justice sociale et de transformation nationale.
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