20/12/2024
Le 20 avril 2023, Gabriel Boric, le président chilien, a annoncé la création d’une Entreprise Nationale du Lithium (1). L’objectif de cette entreprise est de garantir un certain revenu à l’Etat chilien grâce aux rendements de ces matières premières. En effet, l’histoire économique, sociale et politique du pays s’organise autour de ces ressources. Salvador Allende disait du cuivre qu’il était le “salaire du Chili” quand il faisait campagne pour la nationalisation des entreprises cuprifères (2). Aujourd’hui, du fait de la décarbonation des grandes puissances et de l’électrification des moyens de production et des ménages, le lithium revêt une importance stratégique pour le pays. Nous allons donc voir quels sont les enjeux économiques et diplomatiques de l’extraction de lithium, notamment les liens entre le Chili et la République de Chine. En effet, cette dernière est le premier partenaire économique du Chili et possède de nombreuses entreprises clés dans des secteurs stratégiques.
Tout d’abord, il faut se demander quelles sont les réserves de ces différentes matières premières. Les principales ressources minières, autres que le cuivre et le lithium, sont l’or et l’argent, le fer et le molybdène. Le Chili est classé dans le top 20 des producteurs mondiaux pour chacune de ces ressources. Pour le cuivre, d’après la Direction générale du Trésor, le Chili est le premier producteur mondial, soit 5,3 millions de tonnes métriques en une année (24% de la production mondiale) (3). Le pays possède également les premières réserves mondiales de cette ressource. Parmi l’ensemble des exportations du pays, le cuivre représente une part de plus en plus importante (49% en 2003), pour devenir majoritaire aujourd’hui (56%). L’industrie cuprifère provoque un développement économique national mais également régional. Par exemple, les régions d’Antofagasta et d’Atacama où sont situées les principales mines de cuivre, ont enregistré, entre 1999 et 2018, une croissance économique de 100% et de 222% respectivement. Ces régions sont devenues des “enclaves productives” selon les deux chercheurs Johannes Rehner et Felipe Vergara (4). Cette forte croissance s’explique par les récentes découvertes de gisement, ce qui produit un cycle productif vertueux. Les industries ont besoin de main d'œuvre, ce qui augmente le nombre d’habitants des régions mentionnées et par conséquent, l’intégralité des secteurs productifs sont mis à contribution pour adapter les villes à l'affluence de travailleurs et travailleuses.
Pour ce qui est du lithium, en 2023, le Chili est le second producteur mondial (44.000 tonnes), soit 24% de la production mondiale et possède 33% des réserves mondiales (5). Ce minerai est stratégique pour le Chili car depuis plusieurs années, les économies du “Nord” ont mis en place des politiques de décarbonation en faveur d’une électrification de tous les secteurs productifs. De ce fait, les pays des économies développées sont dépendantes du lithium chilien pour leurs politiques de décarbonation. Au Chili, la totalité de la production de lithium provient du salar de Maricunga, partie non protégée du salar d’Atacama. Ces salares désignent une croûte de sel en milieu continental (6). Le lithium n’est pas un minerai solide présent sur terre mais provient d’une opération chimique qui modifie les saumures (sels et sédiments) pour obtenir du carbonate de lithium, de l’hydroxyde de lithium, du bromure de lithium ou du butyllithium. Suite à tous ces procédés, le lithium peut enfin être utilisé de manière industrielle pour produire des batteries électriques (7).
Les préoccupations environnementales sont réellement prises en compte à la fin du XXe siècle. En premier lieu, le premier rapport du GIEC et la Conférence de Rio modifient l’approche des Etats au sujet du réchauffement climatique. Dans cet article, nous allons nous concentrer sur les politiques de décarbonation de trois acteurs économiques importants dans les relations internationales : les Etats-Unis, la République Populaire de Chine et l’Union Européenne.
Au sujet des Etats-Unis, la présidence de Donald Trump a laissé des traces, notamment suite au retrait de l’Accord de Paris de 2016 qui requiert une limitation du réchauffement climatique mondial en deçà de 2 degrés. Cependant, avec son arrivée au pouvoir, Joe Biden a misé sa politique de décarbonation des secteurs productifs sur la taxation des entreprises polluantes et la mise en circulation de voitures électriques. En août 2022, il a promulgué un plan d’investissement qui s’est traduit par un nouvel impôt permettant, dès 2023, de couvrir un quart de la demande d’électricité grâce au développement des énergies renouvelables. Il a également mis en place une prime de 7 500 dollars pour l’achat d’un véhicule électrique, ce qui peut être mis en relation avec l’accroissement des ventes des modèles Tesla, qui sont passées de 254 530 à 1 845 985 véhicules en 2023 (8). Pour autant, il ne faut pas oublier que les Etats-Unis sont le plus important producteur mondial de pétrole et de gaz, ainsi que le plus grand consommateur d’énergie fossile.
Pour ce qui est de la République Populaire de Chine, Xi Jinping a annoncé un plan d’investissement conséquent pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2060. Le charbon occupe 70 à 75% de la consommation énergétique, ce qui occasionne des catastrophes climatiques comme les gaz de smog présents dans les grandes villes chinoises (9). De ce fait, les différents plans quinquennaux se basent sur une baisse de la consommation de charbon pour la remplacer par l'hydroélectricité, les parcs éoliens, mais également le photovoltaïque. L’Etat chinois insiste pour que les ménages s’équipent de véhicules électriques par des subventions à la hauteur de 15 000 dollars et par l’acquisition immédiate des voitures, contrairement aux véhicules thermiques qui sont soumis à des loteries ou des ventes aux enchères (10).
Au sein de l’Union Européenne, l’Agence européenne pour l’environnement indiquait en 2019 que le transport routier était responsable d’environ un quart des émissions totales de gaz à effets de serre dans l’Union européenne. En conséquence, elle a établi un plan pour 2035 pour l’interdiction de la vente de voitures thermiques tandis que les pays européens insistent sur la pratique du covoiturage, l’amélioration des transports en commun ainsi que pour l’achat de voitures électriques (11).
Du fait de ces différentes politiques, le cuivre et le lithium font partie des ressources naturelles minières importantes pour le futur. En effet, la France a lancé sa stratégie France 2030 qui vise à produire sur son sol du lithium afin de favoriser sa propre production de batterie électrique. De son côté, la République Populaire de Chine possède un intérêt stratégique à acquérir ces matières premières indisponibles dans son sol pour ses objectifs nationaux, mais aussi pour rester le premier producteur mondial de voitures électriques. Nous allons donc recenser ici les événements majeurs des relations internationales entre le Chili et la Chine, et analyser comment les derniers arrangements entre ces deux pays témoignent d’une mainmise des élites chinoises sur les grandes entreprises chiliennes.
L’établissement de relations diplomatiques se fait dans les années 1970 lors du gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende, à l’aide de l’Unidad Popular. Ce dernier souhaite rompre avec la politique des gouvernements précédents influencée par la doctrine Monroe étatsunienne (12). Elle dictait une mise à distance des gouvernements latinoaméricains par rapport à l’URSS et à ses satellites soviétiques. Suite au coup d’Etat de l’armée et à sa prise de pouvoir, le général Pinochet ne rompt pas ses relations avec la Chine Communiste car il a besoin de nouveaux capitaux pour l’établissement d’une économie néolibérale (13). Dans la continuité, nous pouvons observer un accroissement des échanges politiques, diplomatiques et économiques au début des années 1990 suite au retour de la démocratie chilienne. Les administrations des deux pays expriment, l’une après l’autre, une volonté de non-ingérence dans les affaires diplomatiques. Pour exemple, le Chili, par l’intermédiaire de son nouveau président Patricio Aylwin(1990-1994), a affirmé que la Chine “ne violait pas les droits humains du peuple du Tibet”, ou encore, le gouvernement chilien n’a pas manifesté son opposition contre la répression chinoise lors des évènements de Tian’anmen de 1989 (14). De la même façon, le Chili qui intégra l’Organisation Mondiale du Commerce en 1995, a plaidé en faveur de son homologue chinois, qui intégra l’OMC en 2001. Ensuite, en 2004, l’administration chilienne a été la première d’Amérique du Sud à reconnaître la République Populaire de Chine comme une économie de marché, qui a ouvert la voie à la signature d’un Traité de Libre Échange en 2005, modifié en 2008 et en 2012 afin d’amplifier les investissements mutuels et d’accroître les échanges économiques. Cela s’est effectivement traduit par une augmentation des échanges de biens, qui se chiffrait à 1,8 milliard en 2000, à 8,4 milliards en 2006 (15). La République Populaire de Chine a aussi théorisé son rapprochement avec l’Amérique du Sud, par l’intermédiaire du Livre Blanc sur l’Amérique latine, qui précisait les politiques diplomatiques et économiques, à savoir une “win-win relation” (16). Ces éléments se concrétisent par un discours entre les élites dirigeantes, soit “el discurso de los primeros”, la rhétorique des premiers. Li Keqiang, le Premier Ministre du Conseil de l’Etat le fait apparaître dans son discours en 2015 (17), tandis que le Ministère des Relations Extérieures du Chili démontre l’utilisation de ces éléments de langage dans un document qui s’intitule : “Évaluations des relations commerciales entre le Chili et la Chine cinq ans après l’entrée en vigueur du Traité de Libre Échange de 2011” (18).
Cette bonne relation se traduit aussi de façon plus matérielle. En effet, la Sociedad de Fomento Fabril (SOFOFA), le syndicat des grandes entreprises chiliennes souhaite développer des relations plus profondes avec les élites économiques chinoises et organise régulièrement des tables rondes avec le Comité d’Affaires Bilatérales Chili-Chine (19). Le Vice-Ministre du Commerce chinois a même déclaré : “je remercie sincèrement les milieux d’affaires des deux pays pour leur contribution au développement des relations économiques et commerciales bilatérales”. Au niveau étatique, ProChile, une institution rattachée au Ministère des Relations Extérieures qui a pour mission de promouvoir les biens et les services chiliens dans le monde entier, organise depuis huit ans une semaine dédiée aux productions chiliennes dans différentes villes chinoises (20). De ce fait, Gabriel Boric s’est rendu en Chine et a effectué un discours pour saluer les organisateurs, dont le Conseil chinois pour la promotion des investissements internationaux, qui a pour but de promouvoir l’implémentation des Nouvelles Routes de la Soie dans les pays concernés.
Conclusion:
En conclusion, nous pouvons dire que le Chili et la République Populaire de Chine ont une relation diplomatique, économique et qui paraît cordiale. Cependant, avec la volonté politique de Gabriel Boric d’étatiser le marché du lithium et sa Stratégie Nationale du Lithium, les élites chinoises et chiliennes sont en compétition pour obtenir les plus grandes parts d’exploitation de l’Or blanc. En effet, les entrepreneurs chinois ont fortement investi dans la société chilienne comme dans des entreprises pour favoriser les produits chinois, mais s’allient également avec des chefs d’entreprises chiliens pour attaquer l’Etat chilien en justice. Pour ce qui est du lithium, SQM, l'entreprise visée pour devenir l’Entreprise Nationale du Lithium, les actionnaires chiliens ont négocié avec l’Etat chilien sans en informer les actionnaires chinois, pourtant détenteur de 22% de l’entreprise.
Enfin, comme nous l’avons vu, l’extraction de cuivre et de lithium est extrêmement demandeuse d’eau, détériore les écosystèmes, détruit la biodiversité. Mais cela impacte aussi directement les populations indigènes présentes sur ces territoires. Nous pouvons énoncer que les territoires miniers tendent à devenir des “zone de sacrifice”, à savoir des zones géographiques définies par leur habitat rendu invivable pour la faune, la flore et les populations indigènes. Dans ces zones, les hommes et femmes qui y vivent s’exposent à des maladies respiratoires, cardiaques et neurologiques. Les sols deviennent infertiles, les eaux potables sont contaminées, le risque de pluies acides est conséquent et la végétation souffre des substances chimiques, ce qui affecte sa santé et la comestibilité de celles-ci (22).