21/12/2023
La coopération économique pour l’Asie-Pacifique, plus connue sous l’abréviation “Apec” pour “Asia-Pacific Economic Cooperation”, est un sommet annuel réunissant 21 pays du pourtour de l’Océan Pacifique pour promouvoir une coopération dans plusieurs secteurs et notamment au niveau économique. Ces 21 économies réunies représentent à elles seules près de 3 milliards d’habitants ainsi que plus de 60% du PIB mondial1. L’Apec a débuté en 1989 avec un premier sommet à Canberra, en Australie avec seulement 12 membres fondateurs pour discuter des questions économiques et sociales de la région. Jusqu’en 1998, l’Apec s'agrandit pour accueillir jusqu’à 21 membres2. Le dernier sommet a eu lieu à San Francisco, aux États-Unis du 11 au 17 novembre 2023 et a été marqué par une rencontre entre le Président américain Joe Biden et le Président chinois Xi Jinping. Cette rencontre importante de 4 heures à Woodside en Californie avait pour but d’améliorer les relations entre les deux premières économies du monde qui ont toutes deux insisté sur leur interdépendance3. C’est aussi une rencontre historique car c’est la deuxième fois que Xi et Biden se rencontrent depuis l’arrivée du Président américain à la Maison-Blanche. Leur dernière rencontre remontait au 14 novembre 2022 à Bali, en Indonésie lors du sommet du G204.
Pourtant, malgré les échanges et les déclarations communes de 2022, les tensions entre la Chine et les États-Unis ne sont pas retombées. Parmi les principaux points de frictions entre les deux pays, on retrouve les sanctions. La guerre économique lancée par Trump5, qui accusait la Chine de concurrence déloyale, de violation de la propriété intellectuelle ou encore de sous-évaluation du yuan, est notamment caractérisée par l'introduction de mesures protectionnistes, c’est-à-dire une hausse des tarifs douaniers, des restrictions d’investissements ou même des interdictions de déplacements. Cette politique protectionniste de Trump a provoqué des mesures de rétorsions de la part de la Chine mais a été poursuivie par Joe Biden.
De la même manière, on peut mentionner les ambitions territoriales de Pékin en Mer de Chine, que ce soit avec Taïwan ou l'annexion, la poldérisation et la militarisation des archipels. En effet, la Chine défend le rattachement de l’île de Taïwan à son territoire et revendique près de 90% de la Mer de Chine méridionale sur la base de la ligne des 9 puis 10 traits6, quitte à empiéter sur le territoire et la zone économique exclusive d’autres pays comme les Philippines ou le Vietnam. Pour contrer cela, les États-Unis semblent appliquer une nouvelle politique d’endiguement avec des bases militaires dans plusieurs pays. Ils restent attachés à la liberté de navigation7, telle que défendue par le droit international depuis 1982 par l’Organisation des Nations Unies8.
On peut aussi mentionner les positions divergentes sur les conflits ukrainien et israélien entre la Chine, soutenant indirectement Moscou et le Hamas, et les États-Unis, défendant l’Ukraine et Israël. De manière générale, les américains considèrent la Chine comme la principale menace9 des États-Unis par son économie, son armée, ses ambitions, etc. On se retrouve dans un piège de Thucydide où la puissance dominante, ici les États-Unis, a peur du développement de la puissance émergente, à savoir la Chine. D’où l’intérêt de négocier comme lors de l’Apec pour éviter toute escalade.
Les sujets abordés lors de cette rencontre sont très nombreux.
Parmi eux, on retrouve la promotion de la paix et la résolution des conflits mondiaux, une amélioration de la communication au niveau militaire, la lutte contre le changement climatique, l’aide aux pays les moins avancés, l'accroissement des transports aériens entre les deux pays, le développement d'échanges culturels, scolaires, sportifs, etc.
Ici, nous nous concentrerons sur deux thèmes principaux abordés par Joe Biden et Xi Jinping.
Le premier thème concerne les nouvelles technologies. Suite aux discussions, les États-Unis et la Chine se sont accordés pour augmenter les échanges entre gouvernements sur le sujet des nouvelles technologies et ce, pour améliorer leur sécurité. Un point particulier renvoie aux intelligences artificielles, comme l’IA générative Chat GPT, car elles sont amenées à occuper une place de plus en plus importante dans l’économie mondiale, que ce soit pour les voitures, les réseaux sociaux ou même les équipements militaires. C'est pourquoi la Chine et les États-Unis sont dans une course à l’investissement et à la recherche sur les intelligences artificielles. Le problème est qu'elles peuvent être vulnérables à des piratages et cyber-attaques qui pourraient avoir des conséquences désastreuses comme des vols de données, des interruptions de service, etc. Pour ces raisons, les deux pays se sont engagés à collaborer pour améliorer la sécurité de ces nouvelles technologies. Mais, il est fort possible que ces discussions restent particulièrement limitées. Cela rappelle la situation en 2015 quand Xi Jinping et l’ancien Président américain Barack Obama se sont rencontrés à Washington D.C. pour discuter et signer un accord historique10 sur la cybersécurité. Les deux pays s’étaient entendus pour ne pas s'attaquer réciproquement dans le cyberespace. Or, la Chine est aujourd’hui le pays du monde qui soutient le plus de cyber-attaques à l’encontre des États-Unis11.
Le deuxième thème renvoie à la lutte contre les drogues illicites dans le monde et le narcotrafic. Les États-Unis sont notamment préoccupés par l’expansion rapide du Fentanyl dans les quartiers américains. Le Fentanyl est un analgésique presque 100 fois plus puissant que la morphine12. Il est utilisé comme drogue en Amérique du Nord et est responsable de la majorité des plus de 70 000 morts d’overdose aux États-Unis en 202113. La raison des discussions entre Biden et Xi sur ce sujet est que les composants de cette drogue de synthèse viennent généralement de Chine et sont exportés vers l’Amérique du Nord14. De son côté, le Président chinois a dit compatir avec les victimes américaines de cette drogue et s’est dit prêt à accélérer l’implication de son pays dans la lutte contre le trafic.
Néanmoins, malgré les déclarations rassurantes de chaque côté, décrivant un réchauffement des relations sino-américaines, les communiqués officiels américains et chinois qui ont suivi cette rencontre font apparaître des divergences qui n’ont pas pu être résolues. Cela se remarque au regard du communiqué de la Maison-Blanche du 15 novembre 2023 et de celui du Ministère des Affaires Étrangères de la République Populaire de Chine le 16 novembre 2023.
Du côté américain15, la Maison-Blanche a appelé, en vain, la Chine à œuvrer pour la dénucléarisation de la péninsule coréenne ainsi qu’à la défense de l’Ukraine et d’Israël. Elle dénonce aussi la violation des droits humains en Chine comme au Xinjiang, au Tibet ou à Hong-Kong et accuse la Chine de politique commerciale déloyale. Enfin, elle a réitéré son engagement en faveur d’une région indopacifique libre et ouverte grâce notamment à la liberté de navigation et d’une résolution sans intervention militaire aux tensions avec Taïwan.
Du côté chinois16, le Ministère des Affaires Étrangères dénonce l’ambiguïté américaine vis-à-vis de Taïwan et appelle les États-Unis à défendre une réunification, de toute manière inévitable, de la Chine. Le Ministère dénonce aussi les sanctions américaines sur les sociétés chinoises et accuse les États-Unis de tentative d’ingérence, notamment en essayant de vouloir changer le régime de la Chine et d’appliquer une politique d’endiguement.
En définitive, malgré les déclarations rassurantes faîtes par les deux pays, les tensions sont loin d’être retombées suite au sommet de San Francisco. D’autant plus que, juste après ce sommet, Joe Biden n’a pas hésité à qualifier Xi Jinping de dictateur lors d’une conférence de presse, ce que Mao Ning, la porte-parole du ministère des Affaires Étrangères, a qualifié de “manipulation politique irresponsable”. De manière plus générale, l’Apec était aussi l’occasion pour la Chine et les États-Unis de se livrer une compétition pour attirer des partenaires. Pour la Chine, on peut mentionner la reprise du dialogue avec le Japon alors que celui-ci était à l’arrêt depuis un an. À l’inverse, les États-Unis ont signé un accord17 avec les Philippines prévoyant une coopération militaire renforcée avec notamment l’exportation de matériel nucléaire, un point important compte tenu des tensions avec la Chine dans l’indopacifique.
Lors du sommet de l’Apec à San Francisco, le Président américain Joe Biden et le Président chinois Xi Jinping ont exprimé la volonté de tripler la capacité des énergies renouvelables dans le monde d'ici à 2030.
Deux semaines plus tard, lors de la COP 28, les pays du monde entier se sont mis d’accord18 autour d’une sortie progressive des énergies fossiles qui a fait couler beaucoup d’encre.
Ici, nous proposons de nous intéresser à un point de la COP 28 moins mis en avant : le fonds “pertes et dommages”19.
En réalité, ce fonds est apparu à la suite de la COP 27 de Charm el-Cheikh20 pour que les pays riches et développés financent les pertes et les dommages liés au changement climatique dans les pays les plus vulnérables. Mais, la concrétisation de ce fonds a véritablement eu lieu le premier jour de la COP 28 avec l’adoption définitive du texte. Les États-Unis, qui étaient initialement opposés à cette idée, l’ont finalement accepté mais ont insisté pour que les contributions soient volontaires. Cette position a été critiquée car les États-Unis se sont engagés à donner 17,5 millions de dollars à ce fonds, contre 100 millions de dollars pour l’Allemagne alors que les États-Unis polluent beaucoup plus. Une autre critique repose sur le fait que les pays Occidentaux aient demandé à ce que ce fonds soit accueilli, pendant une durée provisoire de quatre ans, au sein de la Banque Mondiale. Les pays en développement, notamment en Afrique, dénoncent cette idée, accusant la Banque Mondiale de délaisser les pays les plus pauvres au profit des intérêts des pays riches et développés. La position américaine sur ce fonds est aussi marquée par une volonté d’agrandissement du nombre de donateurs pour y inclure des pays émergents comme la Chine qui est aujourd’hui le pays le plus polluant en termes d’émissions totales. Or, les autorités chinoises accusent les pays développés d’être responsables du changement climatique car ils polluent sans modération depuis la Révolution Industrielle. La Chine préfère ainsi parler en émissions cumulées depuis cette période car ses hauts niveaux de pollution sont relativement récents. Elle défend quant-à-elle l’idée d’une responsabilité commune mais différenciée telle que précisée dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 199221. En clair, la division États-Unis - Chine sur le sujet repose sur une division riche-pauvre. Les pays les plus riches ont des ressources modernes et peuvent répondre plus rapidement aux changements climatiques tandis que les pays les plus pauvres s'appuient plus sur des énergies polluantes pour leur développement.
Li Keqiang est mort d’une crise cardiaque le 27 octobre 2023 à Shanghai en Chine.
Il est connu pour avoir été le Premier ministre du Conseil des affaires de l'État de la République Populaire de Chine du 15 mars 2013 au 11 mars 2023, soit près de 10 ans. C’est l’occasion pour nous de revenir sur les points importants de sa carrière politique.
Celle-ci commence véritablement en 1998 à Henan, une province chinoise, où il est nommé Gouverneur grâce à sa formation à l’Université de Pékin et à son engagement au sein du Parti Communiste Chinois (PCC). Très vite, il va monter les échelons du PCC pour devenir successivement secrétaire du Parti dans le Liaoning au nord-est de la Chine, élu au Comité permanent du Politburo, Vice-Premier ministre et enfin Premier ministre en 2013. Ses deux mandats en tant que Premier ministre ont été incarnés par l’introduction de réformes pour moderniser la Chine et développer la croissance. Son influence sur la société chinoise est telle qu’il faisait de la concurrence à Xi Jinping qui n’a pas hésité à le mettre à l’écart et l’a fait remplacer par Li Qiang lors du XXème Congrès du PCC qui s’est ouvert le 16 octobre 2022. Pour beaucoup de chinois, il incarnait les réformes mais aussi une alternative à l'autoritarisme. Cela explique la censure des messages d’appréciation sur les réseaux sociaux dans les jours qui ont suivi son décès mais aussi le silence des autorités chinoises sur sa mort. En effet, Li Keqiang est décédé le 27 octobre 2023. Le même jour, le Président américain Joe Biden recevait à Washington D.C. le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi. La différence est que Wang Yi n’a jamais fait mention de la mort de Li Keqiang tandis que la Maison-Blanche a présenté ses condoléances dans le compte-rendu de la réunion22. De manière générale, les États-Unis lui reconnaissaient ses talents de négociateur et son savoir notamment en économie. Il n’a cessé de promouvoir un dialogue économique, allant jusqu’à dénoncer l’envie de certains politiciens américains d’un découplage des États-Unis par rapport à la Chine, qui selon lui impacterait tout le monde négativement. Il est aussi connu pour l’implémentation de son programme économique stratégique “Made in China 2025” (MIC25)23 en mai 2015 dont le but est de favoriser l’innovation et la production de technologies en Chine pour réduire la dépendance vis-à-vis des États-Unis. Ce programme reste un élément clé pour comprendre la guerre économique entre la Chine et les États-Unis initiée par l’administration Trump.