30/10/2024
Alors que l'Iran s'affirme comme une puissance régionale de premier plan au Moyen-Orient, le processus de normalisation entre l'Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, l'Égypte et l’Iran soulève des interrogations quant à la durabilité de cette prééminence, faisant émerger l'hypothèse que l'Iran pourrait bientôt perdre sa position de tête dans la compétition pour le leadership régional.
Dans ce contexte de réajustements géopolitiques, le 15ème sommet des BRICS, qui s'est tenu à Johannesburg du 22 au 24 août 2023, a vu le président sud-africain Cyril Ramaphosa annoncer l'élargissement du groupe, incluant parmi les candidats l'Arabie Saoudite, l'Égypte, les Émirats arabes unis et l'Iran. Depuis lors, comment l'Iran, en tant que puissance régionale de facto, consolide-t-elle son influence au Moyen-Orient, et quel impact cela a-t-il sur ses relations avec l'Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et l'Égypte ?
La reconnaissance de l’Iran comme puissance régionale dans le Moyen-Orient repose sur divers facteurs. Tout d'abord, sa situation géographique au Moyen-Orient lui confère une influence naturelle, renforcée par ses importantes réserves de pétrole et de gaz. Sur le plan politique, l'Iran est actif dans de nombreux conflits régionaux et cherche à établir des alliances régionales pour étendre son influence.
Néanmoins, l'Iran doit faire face à des défis majeurs. Sur le plan intérieur, l'économie iranienne est durement touchée par les sanctions économiques internationales et une gestion économique défaillante, entraînant une inflation élevée et un taux de chômage important. Le pays est également confronté à des problèmes démographiques, environnementaux et sociaux, constituant des points de vulnérabilité critiques. Sur le plan extérieur, l'Iran est en proie à des tensions avec ses voisins, en particulier l'Arabie Saoudite dans le cadre de la guerre au Yémen, et Israël dans le contexte du conflit palestino-israélien actuel. De plus, les relations avec les États-Unis et certains pays occidentaux sont tendues en raison du programme nucléaire iranien et du soutien présumé à des groupes militants régionaux.
Il y a quelques années encore, l'influence de l'Iran avait un impact significatif sur les pays du Moyen-Orient. Cette influence se manifestait souvent par une escalade des tensions régionales, notamment à travers une guerre de proxy au Yémen, où l'Iran et l'Arabie Saoudite s'affrontaient indirectement. Cependant, depuis le rapprochement entre l'Arabie Saoudite et l'Iran, soutenu par la Chine, le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) cherche à apaiser les tensions, reconnaissant que celles-ci ne servent pas ses intérêts nationaux. Ce constat de lucidité marque un tournant dans la région.
L'engagement de l'Iran au sein des BRICS offre une nouvelle perspective pour le pays au Moyen-Orient. En effet, cela lui permet de diversifier ses partenaires économiques et de trouver de nouvelles sources de soutien face aux sanctions économiques. Cette ouverture financière, commerciale et pétrolière offre un certain soulagement économique pour l'Iran.
Toutefois, malgré ces opportunités, l'implication des BRICS ne résout pas les problèmes fondamentaux auxquels la population iranienne est confrontée. En réalité, la population aspire principalement à un retour à l'accord nucléaire de 2015, reconnaissant que cela leur offrirait une plus grande liberté et stabilité. Ainsi, bien que l'engagement de l'Iran au sein des BRICS puisse lui offrir un certain répit, il ne répond pas nécessairement aux aspirations profondes de la population en matière de politique étrangère.
L'arc chiite facilite considérablement l'extension de l’influence de l'Iran au Moyen-Orient en lui permettant d'exercer un rôle accru dans les affaires intérieures des pays où ces groupes chiites opèrent. Par exemple, le soutien de l'Iran au Hezbollah au Liban lui a permis d'exercer une influence significative sur la politique intérieure libanaise et de renforcer sa présence dans la région. De même, le soutien aux Houthis au Yémen a permis à l'Iran d'étendre son influence dans ce pays, ce qui a contribué à l'escalade du conflit régional. De plus, en soutenant les milices chiites en Irak, l'Iran a pu renforcer sa position dans ce pays et consolider son influence régionale. Ainsi, l'arc chiite permet à l'Iran d'étendre son pouvoir au Moyen-Orient en lui fournissant des alliés loyaux, même s’ils conservent une autonomie d’action par rapport à Téhéran, et des forces sur le terrain pour promouvoir ses intérêts régionaux et défier ses adversaires.
Toutefois, l'opposition au sein de la communauté chiite envers l'Iran se manifeste également à travers des critiques croissantes à l'égard des politiques religieuses et sociales imposées par le régime iranien. De nombreux chiites, notamment ceux en Irak et au Liban, expriment leur frustration face à l'ingérence de l'Iran dans les questions religieuses et sociales, ainsi que leur désir de préserver leur propre identité culturelle et religieuse. Cette opposition est également alimentée par les politiques répressives du régime iranien à l'encontre des dissidents et des opposants politiques, y compris au sein de la communauté chiite. Par conséquent, bien que l'Iran cherche à étendre son influence au Moyen-Orient à travers l'arc chiite, il est confronté à une résistance au sein de sa propre base de soutien, ce qui pourrait potentiellement affaiblir sa légitimité et son autorité dans la région.
L'extension du groupe BRICS au Moyen-Orient, marquée par l'intégration de l'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de l'Iran, pourrait induire des transformations significatives sur la scène internationale. L'Iran est également membre de l'Organisation de coopération de Shanghai3, ce qui laisse entrevoir une dynamique de coopération régionale élargie. Dans le même ordre d'idées, les BRICS expriment un partenariat qui révèle une tendance anti-occidentale, témoignant d'un Sud global plus autonome et indépendant.
Ces pays, bien que dépourvus des mêmes atouts que les grandes puissances occidentales, disposent de ressources énergétiques telles que le pétrole et le gaz, ainsi que d'une population jeune et dynamique. Cette conjoncture pourrait à long terme influencer les équilibres diplomatiques, économiques et financiers mondiaux. Mohammed Ben Salmane4, en particulier, exploite cette opportunité en entreprenant une révolution sociétale en Arabie saoudite, caractérisée par des initiatives culturelles et sociales visant à moderniser le pays, notamment en éloignant l'influence du wahhabisme5. L'objectif à long terme de MBS est de transformer Riyad en un hub économique majeur, concurrençant ainsi Dubaï et Doha. Pour atteindre un objectif de prospérité et de stabilité, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar s'appuient sur le « soft power », investissant massivement dans la culture, le sport et l'éducation.
Face aux monarchies du Golfe désormais connectées à la mondialisation, l'Iran pourrait être confronté à des défis, notamment en raison des politiques restrictives du régime iranien, qui entravent les perspectives des nouvelles générations. Pour la République islamique, le modèle de développement de ses voisins arabes constitue un formidable défi à relever. Toute la question est de savoir si les autorités iraniennes peuvent encore réformer – ou non – le système en vigueur depuis 1979. Celui-ci a vieilli et n’est plus mobilisateur pour la grande majorité des Iraniens, et notamment la jeunesse.