2/10/2024
La région des Grands Lacs africains, comprenant des pays tels que le Rwanda, la République Démocratique du Congo (RDC), le Burundi et l’Ouganda, est marquée par une histoire complexe de conflits armés, de violences ethniques et de crises politiques. Elle est le théâtre de certains des conflits les plus dévastateurs du continent. Le génocide rwandais de 1994, qui a coûté la vie à près de 800 000 personnes, a marqué profondément la région et déclenché une série de guerres civiles et de conflits transfrontaliers. Le Burundi, dès 1993, a lui aussi été plongé dans une guerre civile aux dimensions ethniques complexes, tandis que la République Démocratique du Congo (RDC) a connu deux grandes guerres (1996-1997 et 1998-2003), souvent qualifiées de "Première" et "Deuxième guerre du Congo", impliquant plusieurs pays voisins et causant des millions de morts.
En effet, les racines de ces conflits remontent à la période coloniale, où les puissances européennes ont exacerbé les divisions ethniques en favorisant certains groupes par rapport à d'autres. Cette stratégie a engendré des rivalités durables, dont celles ayant conduit au génocide entre les hutus et les tutsis au Rwanda. Au côté de ces racines, Ndaywel è Nziem note que « la précarité économique, associée à la fragilité des institutions politiques, contribue à la persistance des conflits dans la région des Grands Lacs. Les inégalités et l'exclusion sociale exacerbent les tensions ethniques et régionales ». Aussi, les conflits dans les Grands Lacs ont-ils attiré l'attention d’acteurs régionaux et internationaux, chacun avec des intérêts géopolitiques et économiques variés. Pour Marysse, Stefaan, et Filip Reyntjens « le rôle des acteurs régionaux et internationaux dans les conflits des Grands Lacs est ambigu. D'une part, ils jouent un rôle crucial dans la médiation et la résolution des conflits; d'autre part, leurs interventions sont souvent motivées par des intérêts géopolitiques qui compliquent les dynamiques de paix ».
En réponse à ces conflits persistants, plusieurs initiatives de paix ont été mises en place. Parmi les plus remarquables, on trouve « les accords de paix, tels que l'Accord d'Arusha pour le Burundi et l'Accord de Lusaka pour la RDC, qui ont marqué des étapes importantes vers la stabilisation de la région, bien que leur mise en œuvre reste un défi majeur ». En se basant sur l’aspiration 4 de l’Agenda 2063, à savoir « une Afrique vivant dans la paix et dans la sécurité », avec l’objectif principal « de faire taire les armes d’ici 2020 », l’UA a mis en place des initiatives telles que le Mécanisme de lutte contre les conflits et de renforcement de la paix. Elle a tenté d’apporter des réponses, bien que ses capacités d'intervention aient souvent été limitées. Elle a déployé des missions d’observation et de maintien de la paix, comme en RDC avec la Mission de l’UA en Centrafrique et en RDC, tout en soutenant les processus de médiation et de dialogue politique, notamment à travers la facilitation des Accords d’Arusha au Burundi. En collaborant avec des organisations régionales comme la Communauté de l'Afrique de l'Est (EAC) et la Conférence Internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), l'UA a aussi contribué à stabiliser des zones de conflit et à organiser des efforts de réconciliation.
Cependant, ces interventions ont souvent été entravées par des défis logistiques, un manque de ressources et des rivalités géopolitiques, soulignant la nécessité pour l'UA de renforcer sa capacité à réagir de manière proactive et coordonnée aux crises dans cette région stratégique.
Évaluation de l’efficacité de l'Union Africaine dans la résolution des conflits
L’évaluation de l'efficacité des initiatives de paix de l’UA procède par l’identification des obstacles et des limites rencontrés par l'institution, ses faiblesses structurelles, ainsi que le contexte social qui influe sur l’implémentation de ses initiatives.
Malgré ses efforts, l'Union africaine fait face à plusieurs obstacles et limites dans la mise en œuvre de ses initiatives de paix :
Au-delà des obstacles immédiats auxquels fait face l'Union Africaine, il est crucial d'explorer les faiblesses structurelles qui compromettent l'efficacité de ses efforts de paix dans la région.
Jean-François Bayart estime que « les faiblesses structurelles de l'Union africaine incluent une gouvernance interne complexe, un manque de capacités institutionnelles, et une dépendance excessive vis-à-vis des financements extérieurs». Ces faiblesses limitent l'efficacité de l'UA dans la mise en œuvre de ses initiatives de paix.
Le fait que l’UA dépende largement des contributions des États membres et de l'aide internationale limite sa capacité à financer des opérations de paix complexes et de longue durée. À cela s’ajoutent la lenteur et la complexité des processus décisionnels qui retardent les interventions cruciales et réduisent leur impact. Le manque de capacités militaires et logistiques adéquates pour mener des opérations de maintien de la paix, la rendent dépendante de l’appui extérieur. En occurrence, lors de la première guerre du Congo, l'UA a voulu intervenir de manière décisive, mais a dû faire face à un manque chronique de ressources. La lenteur des processus décisionnels, conjuguée à la nécessité de solliciter des financements extérieurs, a limité la rapidité et l'ampleur des interventions. Cela a mis en évidence la dépendance de l’UA vis-à-vis de contributions internationales, et l’absence de soutien financier suffisant de la part de ses États membres pour gérer de telles missions de longue durée.
Aussi, les divergences entre les États membres affaiblissent souvent l’unité et la cohérence des actions de l’UA, rendant difficile l’adoption de positions communes sur les crises régionales.
Ainsi, les défis structurels de l'UA sont exacerbés par les dynamiques politiques et sociales complexes de la région des Grands Lacs, qui influencent par la suite profondément l'implémentation de ses initiatives.
Les dynamiques politiques internes des pays de la région des Grands Lacs dans lesquelles l'UA opère, peuvent jouer un rôle déterminant dans le succès ou l'échec de ses initiatives.En RDC, l'instabilité politique chronique et la faiblesse des institutions étatiques compliquent la mise en œuvre des initiatives de l'UA. Les rébellions armées, souvent soutenues par des acteurs régionaux et internationaux, affaiblissent la capacité de l'État à coopérer pleinement avec l'UA. L’insécurité persistante dans l’Est du pays entrave aussi les missions de paix. De même, la crise de 2015 au Burundi, liée à la décision du président Nkurunziza de briguer un troisième mandat, a montré comment les dynamiques politiques internes – en particulier la répression politique et l’absence de dialogue – ont bloqué les efforts de médiation de l’UA. Le refus du gouvernement burundais d'accepter la mission de maintien de la paix de l'UA a affaibli les tentatives de stabilisation.
Face à ces difficultés, il est possible d'envisager des recommandations pour améliorer l'efficacité des initiatives de paix de l'UA et surmonter les obstacles identifiés.
Recommandations pour une amélioration des initiatives de paix
Face aux défis auxquels est confrontée l’UA dans la résolution des conflits en Afrique des Grands Lacs, cette étude propose trois (03) alternatives :
Pour renforcer l'engagement de l'Union africaine, El-Ayouty Yassin recommande d'améliorer la mobilisation des ressources internes et de promouvoir une plus grande solidarité entre les États membres. Quatre (04) techniques ont été identifiées pour y parvenir :
Cependant, renforcer l'engagement de l'UA ne suffit pas. Il est tout aussi essentiel d'inclure les acteurs locaux dans le processus pour garantir des solutions plus durables et légitimes.
L'implication des acteurs locaux est essentielle pour assurer la légitimité des processus de paix et garantir que les solutions proposées répondent aux besoins réels des populations. En RDC par exemple, depuis la fin des conflits de la seconde guerre du Congo (1998-2003), le pays est marqué par des violences persistantes, notamment dans l’Est, avec la prolifération de groupes armés. Les processus de paix, tels que l’Accord-cadre d’Addis-Abeba en 2013, ont été principalement dirigés par des acteurs internationaux, laissant de côté les communautés locales. Les préoccupations des populations concernant la sécurité et la gouvernance n’ont pas été prises en compte, conduisant à la méfiance et à la résurgence des violences.
De même, les accords de paix de 2000 au Burundi, bien qu’ayant été conduit à des avancées majeures, n’ont pas suffisamment intégré les acteurs locaux dans leur mise en œuvre. Les leaders communautaires et les jeunes, qui sont souvent les plus touchés par la violence, n’ont pas eu voix au chapitre dans les décisions clés. Cette exclusion a contribué à une situation de crise prolongée et à un manque de confiance envers les institutions.
A l’inverse, après le génocide de 1994, le Rwanda a mis en place un processus de réconciliation national. Le gouvernement rwandais a intégré des mécanismes de justice communautaire, tels que les Gacaca, permettant aux acteurs locaux de participer activement à la justice transitionnelle et à la réconciliation. Cette approche a favorisé l’implication des femmes et des jeunes, contribuant à une paix plus durable et à la restauration de la confiance entre les communautés.
Dans ce contexte, l’UA doit nécessairement penser à une inclusion des acteurs locaux dans le processus d’initiatives de paix régionale qu’elle prend. Cette inclusion doit essentiellement procéder par :
Enfin, l'adoption de nouvelles approches est indispensable pour trouver des solutions durables qui répondent aux défis contemporains des conflits dans la région.
L’adoption des approches régionales dans la résolution des conflits se justifie par le fait que les conflits en Afrique sont souvent interconnectés et transnationaux. L'UA devrait promouvoir des solutions régionales, en impliquant les communautés économiques régionales pour traiter les causes profondes des conflits de manière collective. À cet effet, il est nécessaire de développer de nouvelles approches pour créer des conditions propices à une paix durable .
À l’ère de la révolution numérique, l’UA pourrait tirer profit de l’utilisation des technologies modernes telles que les drones pour la surveillance des zones de conflit, les plateformes numériques pour la médiation à distance, et les bases de données géo-spatiales pour la gestion des ressources naturelles. L’ouverture du pôle de l’Université Panafricaine en Afrique du Sud qui est censée s’occuper des études spatiales est vivement recommandée ici.
Le recours à l’approche holistique au développement est tout aussi essentiel pour garantir la paix dans cette région. Cette approche doit à cet effet lier les initiatives de paix au développement économique, à la gouvernance démocratique, et à la justice sociale. Cela inclut des programmes visant à améliorer l'accès à l'éducation, à la santé, et aux opportunités économiques dans les régions post-conflit.
Ainsi, l’UA devrait mettre en place des mécanismes robustes de suivi et d’évaluation pour chaque mission de paix. Cela permettrait d’identifier rapidement les lacunes et d’ajuster les stratégies en fonction des réalités du terrain.
En somme, pour aborder ces enjeux de manière holistique, plusieurs recommandations stratégiques doivent être mises en œuvre, en s'appuyant à la fois sur l'expérience passée et sur de nouvelles approches plus innovantes.
Conclusion
La complexité des conflits dans la région des Grands Lacs requiert une approche multidimensionnelle qui tient compte des enjeux historiques, socio-économiques et politiques. Les perspectives futures pour la paix dans cette région reposent sur une approche intégrée qui combine des initiatives de paix avec des efforts de développement et de gouvernance.
Il est crucial que la communauté internationale, les gouvernements africains et les organisations non gouvernementales intensifient leurs efforts pour soutenir l'Union Africaine dans ses initiatives de paix. Pour sa part, l'Union africaine doit adopter une approche plus proactive et inclusive, car l’avenir de la paix en Afrique dépend aussi de sa capacité à surmonter les obstacles actuels et à évoluer vers une organisation plus forte, plus réactive et mieux équipée. L'UA doit être soutenue et renforcée pour transformer les espoirs de paix en réalités tangibles pour tous les africains.