5/12/2024
Ofer Bronchtein est une figure engagée pour la paix israélo-palestinienne et un militant de longue date. Fondateur et président du Forum international pour la paix, il a joué un rôle important dans le dialogue entre Israéliens et Palestiniens. Ancien conseiller de Yitzhak Rabin, et chargé de mission par le président Emmanuel Macron, pour le rapprochement israélo palestinien, Ofer Bronchtein se positionne contre l’occupation des territoires palestiniens et plaide pour une solution à deux États, tout en refusant de tomber dans des discours de haine ou de radicalisme.
Je ne suis pas un militant pacifiste. Je n’aime pas ce terme. Je suis un militant pour la paix. Ma mère est égyptienne, mon père est tunisien ; mes grands-parents venaient d’Hébron ; et mon arrière-grand-mère était russe, émigrée en Palestine dans le cadre de la première Alya. J’ai trois nationalités, dans mon ordre de préférence : je suis français, européen — je rappelle que l’identité européenne telle que nous la connaissons maintenant est née après des guerres dévastatrices —, et israélien. Je suis aussi palestinien, ce qui m’a causé plus de problèmes. Je n’ai utilisé ma nationalité palestinienne qu’une seule fois, à Casablanca, pour passer au poste frontière réservé aux diplomates.
J’ai pris conscience, pendant mon service militaire dans l’armée israélienne, que je ne voulais pas faire partie de l'occupation sur un autre peuple. Un événement clé s’est produit à la fin des années 1970, au nord de Jénine. À cette époque, les frontières étaient ouvertes et des milliers de Palestiniens entraient chaque jour en Israël pour travailler. Ce jour-là, à 5 heures du matin, dans le froid, un officier israélien a demandé à un Palestinien d’âge mûr, accompagné de sa petite-fille, de descendre du bus et de se déshabiller, simplement pour l’humilier. Cet incident m’a profondément bouleversé. Ce fut mon crépuscule. La plus grande tragédie d’Israël est l’occupation des territoires palestiniens depuis 1967.
Depuis 1967, je me suis toujours opposé à l’occupation. Dès les années 1970, le scientifique et théologien israélien Yeshayahu Leibowitz1 prédisait que cette occupation mènerait Israël à sa perte. Mais je tiens à préciser qu’Israël n’est pas le mal absolu dans ce monde. Condamner Israël en bloc est injuste. Être pro-palestinien ne signifie pas être anti-israélien.
Le Forum international de paix est une structure très légère, avec des moyens limités et peu de ressources pour lever des fonds. Nous ne fonctionnons pas comme une grande organisation, mais plutôt comme un carrefour d’échanges. Des associations nous contactent pour obtenir de l’aide, et nous leur fournissons des conseils, des contacts, et un soutien logistique. Nous avons davantage un rôle d’initiateur de projets, que ce soit au niveau institutionnel ou associatif.
La véritable tragédie du Moyen-Orient est que la paix est devenue une sorte de “business”. Il y a énormément de livres, de films, d’organisations institutionnelles, d’ambassades, et même un nombre impressionnant d’envoyés spéciaux qui gravitent autour de ce conflit. Cependant, malgré tous ces acteurs impliqués, les résultats concrets se font toujours attendre. Le processus de paix est encombré par la bureaucratie et l'inertie, ce qui nuit à l'efficacité des initiatives sur le terrain.
Je ne suis pas post-sioniste, je suis sioniste dans la mesure où le sionisme signifie un foyer national juif qui respectent les droit de toutes les minorités et particulier des 20 % des Arabes qui y vivent. Il est intolérable qu' ils soient considérés comme citoyens de deuxième classe. Je m’aligne sur la définition du sionisme telle qu’elle fut pensée par ses pères fondateurs4. Le terme a aujourd'hui plusieurs significations. Si le sionisme signifie que tous les Juifs doivent vivre en Israël, je ne suis pas d’accord. Les communautés juives à travers le monde sont une richesse.
Certains veulent y voir un choc des civilisations : Occident vs Orient. C’est faux. C’est plutôt une opposition entre démocratie et populisme. Le conflit est le résultat de la rencontre entre deux nationalismes : le nationalisme arabe et le sionisme. Les deux mouvements ont cherché à s’affranchir de l’emprise coloniale. Le panarabisme rejette l’impérialisme occidental. Les Israéliens se voyaient comme des mercenaires des puissances occidentales, particulièrement lors de la guerre de Suez en 1956. Israël a été créé plus rapidement qu’on ne le pensait, notamment en raison de la culpabilité européenne après la Shoah.
L'arrogance est le maître mot de ce conflit. Il y a assez de place, de terre, de nourriture pour tout le monde. Le conflit israélo-palestinien s’arrêtera le jour où il y aura un leader palestinien et israélien qui auraient le courage de demander pardon. Les Israéliens ont tort de penser que c’est par la violence qu'ils vaincront les Arabes. La violence actuelle de Netanyahou à Gaza a pour but de faire oublier ses déboires politiques. Des arabes et trop de musulmans ont tort de croire qu'Israël cessera un jour d'exister et d’appeler à sa destruction. En étant anti-sioniste primaires ils deviennent antisemites. En outre, une grosse tare, une plaie en Israël est la dissension ethnique entre Juifs orientaux et ashkénazes5. L’establishment ashkénaze véhicule l’idée que l'ennemi d'Israël est l’Arabe, conduisant de ce fait au refoulement culturel des Juifs orientaux, dit mizrahim.
Le manque de courage et de vision est à blâmer. L’erreur majeure a été de prévoir une période intérimaire plutôt que de définir immédiatement un accord final. Créer une dynamique positive puis avancer petit à petit vers les sujets qui fâchent (le statut de Jérusalem, le retour des réfugiés palestiniens, le partage des ressources, notamment hydriques). Nous n’avons pas pris en compte la montée du Hamas et de l’extrême droite israélienne. Les deux sociétés n’ont pas pris conscience à temps d'éradiquer leurs extrémistes. L’assassinat d’Yitzhak Rabin6 a également marqué la fin des accords d’Oslo. Si Rabin avait vécu plus longtemps, nous ne serions pas dans cette situation aujourd’hui. L’échec de ces accords réside également dans le fait qu'on n'a pas su expliquer au public palestinien, qui considérait en grande partie ces accords comme une capitulation, en quoi il constituait une amélioration pour eux. Pour les Palestiniens, ils avaient enfin un État, une autorité palestinienne qui naît, et donc une autonomie palestinienne.
Je ne pense pas qu'elle soit hors de portée, je pense qu'il faut des leaders courageux et déterminés en Israël et Palestine mais aussi dans les pays arabes et musulmans.
Seule la paix, la reconnaissance aux droits des Palestiniens à la liberté, à l'indépendance et à la reconnaissance d'Israël comme foyer du peuple juifs garantira la sécurité d'Israël et la liberté et la prospérité pour les Palestiniens et des pays arabes. Il y a également un manque d’implication de la société israélienne dans la résolution du conflit. Si nous avions isolé les extrémistes des deux côtés, nous aurions pu trouver une solution. La paix est l’humilité, une approche humble, se mettre à la place de l’autre, comprendre ses aspirations, ses cicatrices et être capable d’empathie.
Le camp de la paix israélien a échoué parce qu’il n’a pas su se coordonner. Il faut que la gauche israélienne, qui se demande pourquoi elle a été laminée avec notamment le parti travailliste quasi inexistant aujourd’hui, fasse un mea culpa. Il fut un moment où elle a voulu imposer sa vision de la paix. La notion de camp de la paix est assez confuse dans la mesure où il y a des camps de la paix, qui prônent des actions différentes, des objectifs différents. Ils n’ont pas su se construire en coalition et mutualiser leurs efforts, pour des raisons d’égo, d’argent. Plusieurs mouvements prônent des objectifs différents, sans parvenir à unir leurs efforts. En revanche, les colons israéliens et le Hamas forment des blocs cohérents et ont donc un plus grand impact. Promouvoir la solution de l’État binational aujourd’hui est une provocation, car elle est irréalisable en l’état et elle braque les Israéliens.
La réconciliation sera très difficile. Pour moi, il est particulièrement pénible de constater le manque d’empathie actuel des deux partis. Le Hamas est admiré par de nombreux Palestiniens pour avoir résisté à Israël. Mais si demain un choix devait être fait pour la reconstruction, ce ne serait probablement pas en faveur du Hamas. Nos vrais ennemis sont l’ignorance, la pauvreté et la corruption. Gaza a le potentiel de devenir le Singapour du Moyen-Orient, si nous nous concentrons sur le développement plutôt que sur l’armement. Les deux aspects politiques et économiques vont de pair, on le voit dans la coopération économique de l'Union européenne, elle est née de la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier (CECA).
Références :