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Au Sénégal, où en est la «question» casamançaise ?

          Comme à chaque scrutin national au Sénégal, les débats autour de l'élection présidentielle initialement prévue le 25 février 2024 ont soulevé l’enjeu d’une résolution définitive du conflit en Casamance, région méridionale enclavée entre la Gambie et la Guinée-Bissau en proie à une rébellion séparatiste depuis les années 1980.

 

La Casamance est une région isolée géographiquement, mais aussi culturellement, du reste du Sénégal, d’où le sentiment d’appartenance nationale mitigé qui y règne dès l’indépendance, avant même les politiques et événements qui advinrent plus tard et renforcèrent cette défiance à l’égard de Dakar. En effet, le découpage frontalier du Sénégal et de la Gambie est un exemple-type des traçages aléatoires hérités de l’époque coloniale, la Gambie ayant été une enclave britannique au sein de l’Afrique Occidentale Française (AOF)1. En sus des diverses ethnies que compte le Sénégal (notamment les Wolofs, les Peuls et les Mandingues), la Casamance est le berceau du peuple diola, que l’on retrouve également en plus faible proportion en Gambie et en Guinée-Bissau2. Bien que minoritaires à l’échelle de toute la région, les Diolas sont majoritaires en Basse-Casamance, à l’ouest de Ziguinchor, la capitale régionale. C’est là-bas que naîtront les velléités indépendantistes casamançaises, avec la prise d’armes du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC) en 1982, après avoir existé comme parti politique. Principalement composé de Diolas, le MFDC mène une guérilla soutenue à l’encontre de l’armée sénégalaise jusqu’aux années 2000, soit une vingtaine d’années de conflit émaillée de quelques tentatives vaines de cessez-le-feu. Une période de relative stabilité s'installe après la signature d’un accord entre le gouvernement et le chef rebelle Diamacoune Senghor. Mais la mort de ce dernier en 2007 génère des luttes internes d’influence, si bien que le mouvement se divise en plusieurs factions3. Si certaines factions signent des accords de cessez-le-feu avec le gouvernement, d’autres poursuivent la lutte armée avec des moyens diminués ou se reconvertissent dans divers trafics.

Si le conflit a largement baissé en intensité, des affrontements sporadiques peuvent encore avoir lieu avec l’armée ou des factions rivales, tout comme les opérations militaires régulières perdurent contre les dernières poches de résistance retranchées dans les zones forestières difficiles d’accès, le long des frontières gambienne et bissau-guinéenne. Une partie des rebelles s’étant reconvertis dans le trafic de bois rare ou de cannabis, une confusion apparait entre rébellion séparatiste et brigandage, ce dernier pouvant être un simple moyen de subsistance ou un mode de financement de la guérilla4. Dès lors, l’armée sénégalaise semble traiter les deux phénomènes de la même manière. Ainsi, la présence militaire reste bien plus importante en Casamance que dans le reste du pays. Les témoignages recueillis dans les villages situés de part et d’autre du fleuve Casamance s’accordent à dire que les dernières descentes de rebelles venus piller les ressources eurent lieu au tournant des années 2010. En 2017, la chute du président gambien Yahya Jammeh, lui-même d’ethnie diola, fait perdre au MFDC l’un de ses plus précieux soutiens. En effet, le nouveau président gambien, Adama Barrow, engage une politique de rapprochement avec le Sénégal de Macky Sall, amorce une coopération militaire renforcée et veille à ce que son pays ne serve plus de base arrière à la rébellion casamançaise5. Si un certain nombre de villageois diolas se retrouvent dans la cause indépendantiste, la grande majorité d’entre eux se prononcent contre tous recours à la violence et se désolidarisent ainsi de la rébellion armée. Il faut dire que la région reste profondément marquée par les années les plus violentes du conflit et peine à redresser son économie, notamment en matière de tourisme.

Si la Casamance est un enjeu crucial pour Dakar, c’est aussi parce que la région est souvent considérée comme le « grenier » du Sénégal6. Il faut dire qu’avec son climat subtropical et son abondante saison des pluies, la Casamance apparaît bien plus fertile que les régions septentrionales sahéliennes. Bien que très extensif et peu productif, le maraîchage s’y épanouit, avant que les produits ne soient envoyés au nord, faute d’usine de transformation présente dans la région. De la même manière, la riziculture (principalement vivrière) est historiquement associée à la Casamance, mais dans le cadre d’une politique nationale visant l’autosuffisance alimentaire, la vallée du fleuve Sénégal a supplanté cette première place, adoptant un modèle davantage productif. De quoi atténuer le poids d’une région potentiellement instable dans les jeux de pouvoir nationaux. Autrefois prospère et éduquée (le taux d’alphabétisation y était l’un des plus hauts), la Casamance n’est plus que l’ombre d’elle-même, à l’image des rares industries décaties héritées de la période coloniale, comme les usines d’extraction de l’huile d’arachide tournant au ralenti, faute d’entretien depuis plusieurs décennies. Sur la côte, l’usine d’embouteillage de l’eau minérale Casamançaise distribuée dans tout le pays fait office d’exception, le produit ne pouvant être exporté brut. Par ailleurs, malgré l’annonce de programmes de développement ciblés, le niveau d'infrastructures, notamment routières, reste en deçà des standards observables dans le nord du pays, ce qui ne facilite ni les échanges, déjà entachés par des décennies d’instabilité régionale, ni le sentiment localement perceptible d’être des citoyens de seconde zone. Rappelons que le Sénégal est l’un des pays les plus aidés du continent, à hauteur de près de 100 dollars par habitant et par an, selon les chiffres des dernières années7. En réalité, l’État sénégalais se livre à une difficile équation consistant à maintenir la Casamance dans une forme de sous-développement afin de la rendre dépendante de Dakar, tout en la développant (ou du moins en donnant cette impression) dans le but d’éviter toute alimentation du mouvement séparatiste régional.

 

Comme d’autres régions, la Casamance est également soumise à ce que l’on pourrait appeler la « wolofisation » du pays, du nom de l’ethnie wolof représentant environ 40% de la population sénégalaise, mais dont la langue (le wolof) est parlé par environ 80% de la population, comme première ou seconde langue. Érigé en principale langue nationale, le wolof s’est imposé comme un échelon intermédiaire entre la langue officielle (le français) et les autres langues nationales reléguées au second plan dans la vie publique. De la même manière, l’islamisation croissante des Diolas, jadis quasi-exclusivement animistes, est susceptible d’atteindre leur particularisme8. Si Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal après l’indépendance, avait entretenu l’illusion d’une éventuelle autonomie de la Casamance avant le début du conflit interne, il n’avait finalement jamais pris de mesures concrètes en ce sens. Aux yeux des Sénégalais du nord, la Casamance reste néanmoins une énigme. Il est vrai que ceux que certains Casamançais appellent simplement « les Sénégalais » témoignent encore de défiance à l’égard des habitants de cette région méridionale source d’instabilité selon eux. Les discriminations internes à l'encontre des Casamançais ne semblent donc pas effacées. C’est ainsi que le leader politique casamançais d’opposition Ousmane Sonko, maire de Ziguinchor, a entraîné la jeunesse régionale derrière lui. Même en jouant le jeu politique, le fondateur du PASTEF, parti politique désormais dissous, a rapidement fait peur aux autorités.

 

Si la Casamance semble désormais apaisée sur la quasi-totalité de son territoire, l’incertitude ne pourra être définitivement écartée qu’à l’aboutissement d’un processus de paix déployant une véritable politique de réconciliation nationale.

  1. « La construction de la frontière sénégalo-gambienne : territoires, territorialités, identités (1850-1989) »,Thèse de doctorat d’Histoire contemporaine de l’Afrique, Caroline Roussy,2014 https://theses.hal.science/tel-02463215/document
  2. « Sénégal », L’aménagement linguistique dans le monde https://www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/senegal.htm
  3. «Casamance : une situation de ni guerre ni paix depuis quarante ans », Caroline Roussy, IRIS, 22 février 2021 https://www.iris-france.org/154787-casamance-une-situation-de-ni-guerre-ni-paix-depuis-quarante-ans/
  4. «Sénégal : quand le trafic de bois alimente la rébellion en casamance », Jeune Afrique, 27 avril 2022 https://www.jeuneafrique.com/1340050/politique/senegal-quand-le-trafic-de-bois-alimente-la-rebellion-en-casamance/
  5. «Sans Yahya Jammeh, enfin la paix en Casamance ? », Jeune Afrique, 6 juin 2017 https://www.jeuneafrique.com/mag/442747/politique/sans-yahya-jammeh-enfin-la-paixen-casamance/
  6. « Regards sur le modèle agricole sénégalais : pratiques foncières et particularités territoriales des moyennes et grandes exploitations agricoles », Cahiers Agricultures, 2020 https://www.cahiersagricultures.fr/articles/cagri/pdf/2020/01/cagri200024.pdf 
  7. «APD nette reçue par habitant (dollars américains constants) - Sénégal », Banque mondiale, 2021 https://donnees.banquemondiale.org/indicator/DT.ODA.ODAT.PC.ZS?end=2021&locations=SN&start=1960
  8. « Radicalisme religieux et contestation de l’islam confrérique au Sénégal », Seydi Diamil Niane, Afrique(s) en mouvement, 2020/1(N° 2), p. 51-56. https://www.cairn.info/revue-afrique-en-mouvement-2020-1-page-51.htm

Au Sénégal, où en est la «question» casamançaise ?

Si la Casamance semble loin de ses heures les plus sombres, le conflit interne perdure pour autant à plus faible intensité. Sans véritables accords de paix, la région ne pourra se reconstruire sur des bases saines et durables. Tour d'horizon de la situation.
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