8/7/2024
Organiser une compétition de l’envergure de la CAN n’est jamais chose aisée et la Coupe d'Afrique des Nations (CAN) en Côte d'Ivoire, surnommée « la CAN de l’hospitalité », s’est présentée comme un véritable défi. Grands étaient les enjeux du point de vue de la sécurité, des infrastructures et de l’organisation générale. Cet article propose un bilan de la tenue de cette CAN et une première évaluation de la prestation ivoirienne, d’un point de vue qui transcende la compétence seulement sportive.
Depuis sa candidature, la Côte d’Ivoire, menée par son président, a exprimé dans les médias une volonté d’excellence dans l’organisation, les infrastructures et le niveau sportif de cette CAN. Cette ambition est louable, d’autant plus si elle se traduit concrètement sur le terrain. En effet, la marche en avant de la CAN en termes de légitimité et de visibilité est aussi tributaire d’un déroulement exemplaire, à la hauteur des enjeux financiers et sportifs à l'œuvre pour un événement de cette envergure. Il est par exemple essentiel que la qualité de son organisation soit irréprochable pour éviter les critiques souvent adressées aux compétitions organisées en Afrique, critiques qui peuvent être influencées par une attention particulière des médias occidentaux sur certains détails. Il s’agit donc d’un enjeu pour toute l’Afrique de parfaire l’organisation de la compétition et de s’y appliquer. La Côte d’Ivoire semble avoir réussi son pari notamment en ne se dénaturant pas et en jouant sur ses atouts - comme sa ferveur populaire - ainsi que sur un surnom qui convient à cette image : « La CAN de l’hospitalité ». Cette réputation est reprise par les officiels : le directeur exécutif du COCAN et le comité d’organisation de la CAN ont exprimé leur gratitude envers le président Ouattara pour avoir orchestré ce qui est considéré par les spécialistes comme la meilleure édition de la CAN (1).
Sur le plan sportif, la CAN a pourtant été entachée de dénonciations de corruption par certains joueurs, portant notamment l’attention sur l’arbitrage, et susceptibles d’altérer l’image du tournoi. La situation dans la fédération de Guinée Équatoriale et son attaquant vedette Emiliano Nsue illustre ces faits. Celui-ci a été exclu par sa fédération ainsi que son coéquipier Edu Salvador pour « plusieurs épisodes d’indiscipline grave » et un « incident désagréable», Selon la fédération, cela pourrait :"conduire à une dégradation de la réputation et de l'image de l'équipe nationale et de la Guinée Équatoriale” (2).
Alors qu’il animait un live sur le réseau social Instagram, Nsue, meilleur buteur de la CAN 2024, avait par la suite accusé la fédération de manque de reconnaissance et de corruption avec des documents à l’appui : « Ces gens cancéreux et corrompus qui dirigent le football en Guinée équatoriale se sont emparés d’un million d’euros en laissant l’équipe nationale dans de mauvaises conditions. Les seules félicitations que j’ai reçues lors de l’obtention de mon prix de meilleur buteur sont venues des autorités ivoiriennes. Mon pays m’a été ingrat. » (3). La véracité de ces accusations n’a pas été prouvée et, par précaution, il convient de noter que les fédérations bénéficient désormais d'une gestion globalement améliorée, selon les spécialistes (4).
La compétitivité implique généralement un investissement préalable au niveau des infrastructures. Le Maroc illustre assez bien cette idée, “l’Académie Mohammed VI”, ouverte en 2009, ayant formé de nombreux joueurs qui brillent aujourd’hui comme Ounahi et En-Nesyri dans les championnats européens.
En 2014, la CAF avait attribué les trois prochaines CAN d’un coup : celle de 2021 au Cameroun, celle de 2023 à la Côte d’Ivoire et celle de 2025 au Maroc, Si la compétition avait été organisée en Côte d'Ivoire à plusieurs reprises, cette édition a mobilisé des infrastructures beaucoup plus développées que les éditions précédentes. Chaque groupe de la phase de poule joue dans un seul stade ce qui nécessite un investissement important : le Stade Alassane Ouattara, situé à Ebimpé en banlieue d'Abidjan, a été inauguré en 2017 et est nommé du nom de l'actuel président de la Côte d'Ivoire. Ce stade a été construit dans le cadre des efforts visant à développer les infrastructures sportives du pays. Le 22 décembre 2016, le Premier ministre Daniel Kablan Duncan a inauguré le lancement des travaux d'un stade à plus de 50 milliards de francs CFA, en présence d'une délégation chinoise ; l'investissement chinois pour la construction du stade étant d'environ 63 milliards Fcfa soit d’environ (96.000.000 €) ainsi que pour le développement des différentes infrastructures connexes autour du stade tels que des parkings ou encore une nouvelle autoroute inaugurée en décembre 2023, entièrement réhabilitée entre Abidjan et Singrobo, et prolongée jusqu'à Yamoussoukro après 8 ans de travaux, facilitant ainsi l'accès aux différentes infrastructures sportives. D’un coût total de 162 milliards FCFA financé par l'Etat Ivoirien ainsi que des fonds d'investissement chinois notamment l’Exim Bank of China, l’investissement fut d’ampleur. Le stade est aujourd’hui dirigé par des entreprises chinoises, montrant ainsi le potentiel massif des infrastructures ivoiriennes. La plupart des autres stades (Yamoussoukro, Korhogo, Félix Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara) ont été rénovés ou inaugurés en 2023 à l'occasion de la CAN eur capacité d'accueil est parmi les plus grandes d'Afrique, avec plus de 40 000 places en moyenne, ce qui montre que l'événement était attendu et a représenté de réels investissements.
L'organisation des différentes CAN a également mis en lumière les enjeux considérables en termes de développement économique. Après la construction de nombreux stades au Gabon, pays organisateur de la CAN en 2017, la Chine avait conclu des accords commerciaux avec le pays alors dirigé par Ali Bongo. Ce dernier avait d’ailleurs rencontré Xi Jinping, président chinois, pour conclure différents accords permettant à l'État chinois d'étendre son influence mondiale, notamment en Afrique. Depuis, 15 % de l’ensemble des produits exportés par le Gabon sont à destination de la Chine, et une stratégie similaire semble être mise en œuvre en Côte d'Ivoire. Xi Jinping a déclaré en 2023 à l'occasion des 40 ans de relations diplomatiques entre les deux États : "À la fin de l’année dernière, j’ai eu une conversation téléphonique avec le président Alassane Ouattara et nous avons atteint un nouveau consensus sur l’approfondissement de la coopération bilatérale dans divers domaines". (6) Au niveau de l’affluence, si certains journaux français mettaient en avant la faible affluence dans les stades lors du match d’ouverture, les jauges de remplissage très élevées observées par la suite dans les stade leur ont vraisemblablement donné tort Lorsque le pays hôte va loin dans la compétition, cela participe au maintien d’une forte affluence même si des taux d’occupation élevés ont aussi été recensés pour d’autres matchs.(7)
Les infrastructures sportives mises en place en Côte d'Ivoire étaient similaires à celles de la Coupe du Monde 2022 au Qatar, avec des structures d’hébergement récentes et des services de qualité. La CAN a pourtant été l'occasion de construire de nouvelles infrastructures hôtelières et de rénover les établissements existants afin de les adapter aux normes internationales. En dehors de la capitale, Abidjan, le pays souffrait d'un manque d'hôtels de qualité. Pour répondre à cette demande, de nouveaux hôtels ont été construits et d'autres ont été rénovés pour accueillir les sportifs et les supporters. À Yamoussoukro, l'Hôtel Président, figure emblématique de la ville, a subi une rénovation complète. De même, de nombreux autres hôtels de la ville ont été rénovés pour offrir un hébergement de qualité aux visiteurs, sachant que la capitale n'est qu'à 233 km d'Abidjan. Pour résoudre le problème d'hébergement à Korhogo, Bouaké et San Pedro, des infrastructures ont été construites et rénovées, incluant des villas, des hôtels de luxe et des établissements adaptés aux normes internationales.
D'un point de vue sportif, comme au Qatar en 2022, l’avenir des 6 stades de classe internationale et des 24 terrains d'entraînement après la CAN pose question, dans un pays où la ligue nationale n'est pas réputée et où la taille des infrastructures est désormais bien supérieure aux audiences des matchs. Yacouba Konaté, professeur de philosophie et conseiller technique du COCAN, l’a récemment rappelé : « Le problème, c’est qu’on a construit des stades qui sont faits pour la CAN au lieu de faire des stades pour le développement du football tout court, qui ont des dimensions qui sont respectables mais qui aujourd’hui sont des défis. Donc, il faut trouver une utilité sociale et économique à tout cela et c’est possible de trouver si, comme vous le dites, on a l’argent. Mais il ne faut pas aussi penser que tout l’argent va venir de l’État. ». L'une des solutions pourrait être de réadapter les stades à d'autres disciplines sportives ou encore d’organiser des événements culturels ou religieux. De nombreuses idées émergent et sont étudiées : on retrouve des concepts classiques comme les spectacles et concerts mais aussi des idées plus originales comme le fait de lier le stade à une université et de faire cours dans les salles à l’intérieur de l’enceinte. La présence du stade permettrait la pratique d'activités physiques et le campus imaginé profiterait des postes de restauration déjà présents. Cela permettrait également aux fédérations de candidater à d’autres grandes compétitions ou encore de développer le football local et les centres de formation pour en faire un secteur productif (8). En effet, à terme, l'investissement dans la filière sportive pourrait attirer des capitaux et stimuler un engouement accru pour le football compétitif dans le pays, renforçant ainsi les audiences et lançant un cercle vertueux économique autour du football. C'est un cycle, une stratégie adoptée par l'Arabie saoudite en 2023 ou encore par la Chine en 2015. Les municipalités peuvent également financer les clubs car c'est une forme de branding de la ville à l'international. Un club de football de haut niveau contribue à la renommée de la ville dont il porte les couleurs. La Fédération ivoirienne a été aidée par le Maroc, le Cameroun et la France dans sa réflexion pour développer le football après la CAN, comme discuté lors d'une réunion avant la tenue de la compétition.
Cette proximité démontre l’importance d’une coopération entre États qui s’apportent mutuellement et font part de leurs expériences respectives. L'État ivoirien prend donc très au sérieux l'après-CAN, afin d'éviter que ces infrastructures et ces investissements ne soient pas utilisés à bon escient et laissés à l'abandon, comme on a pu le voir pendant les Jeux Olympiques au Brésil en 2016 ou encore en Afrique du Sud en 2010. Cependant des problèmes ont été révélés lors de la CAN notamment ceux de l'urbanisme autour des stades, particulièrement après l'incident survenu lors du match entre la Côte d’Ivoire et le Mali au Stade Alassane Ouattara, où une inondation suite à une pluie battante a bloqué les supporters pendant plus de 3 heures pour un trajet de 35 km (9). La position assez reculée des stades et la sécurité renforcée ont créé des mouvements de foule vers les stades et des blocages de véhicules au Stade Alassane Ouattara à 4 km du stade, obligeant les gens à marcher sous la chaleur pour entrer au stade ou obtenir des billets.
La CAN 2024 a aussi été marquée par des problèmes de gestion des billets. La volonté de la Côte d'Ivoire de fixer des prix bas pour rendre les matchs accessibles (5 000 francs CFA pour la catégorie 3, 12 000 francs CFA pour la catégorie 2 et 15 000 francs CFA pour la catégorie 1) a été contrecarrée les importantes activités de revente observées lors de l’évènement. De nombreux revendeurs ont ainsi acheté des billets en masse pour les revendre à des prix exorbitants, entraînant une faible affluence dans les stades par rapport au nombre de billets vendus. Le match Nigeria-Guinée équatoriale, par exemple, n'a attiré que 8 500 spectateurs dans un stade de 60 000 places (10). L’ampleur du marché noir et de la spéculation autour des billets a été l’un des défauts pointés par l’organisation.
Au niveau des soucis liés à la billetterie, le COCAN explique que la CAF a fait le choix d’innover avec une billetterie en ligne avec des QR codes ; une innovation jugée peu productive : les codes ne fonctionnaient a priori pas toujours, et la population a été jugée comme étant “peu familiarisée” avec les enjeux de la digitalisation (11). On reproche également à l’organisation d’avoir accordé les accréditations pour les villages CAN trop tard ne laissant pas aux PME la possibilité de s’organiser. Souvent scruté dans les matchs en Afrique, l’état de la pelouse a été salué par le Secrétaire général de la CAF. Il ressort globalement que les avis émis à l’égard des infrastructures ivoiriennes ont été assez positifs, confirmant un un cap dans le développement et l'avenir de la Côte d’Ivoire (12).
Dans un contexte d’instabilité politique très marquée en Afrique de l’Ouest avec une récurrence des coups d’État au Mali par exemple, la Côte d’Ivoire apparaît comme avoir dépassé sa période de troubles. Il est essentiel de rappeler le contexte et les raisons de l'instabilité pour comprendre la portée de la volonté d'unité d'un peuple qui a connu tellement de divisions. Ce rappel permet de situer les enjeux actuels et de mesurer les progrès réalisés en matière de cohésion nationale. Dans de nombreux pays africains, les élections présidentielles sont souvent décriées, et les résultats contestés. Cela a été particulièrement marqué en Côte d'Ivoire en 2010, lorsque la Commission électorale indépendante a déclaré Alassane Ouattara comme vainqueur. Le Conseil Constitutionnel, dirigé par des partisans de Gbagbo, ancien président ivoirien, a contesté ce résultat en affirmant que des irrégularités avaient eu lieu dans les régions du nord, fief de Ouattara. Cette contestation a mené à une crise politique suivie d'une guerre civile. Néanmoins, les tensions issues de ces événements persistent lors de chaque réélection, notamment en 2015 et 2020. Aux troubles internes s'ajoutent des menaces terroristes à la frontière nord avec le Burkina Faso, un défi majeur pour un pays accueillant un grand nombre de personnes sur son sol. Cette compréhension du contexte politique et des tensions passées est cruciale lorsqu'on aborde des sujets tels que le sport, car elle met en lumière les efforts pour utiliser le sport comme outil de cohésion sociale et de réconciliation nationale. Le sport, en Côte d'Ivoire, va au-delà de la simple compétition ; il est un moyen d'unir une nation encore marquée par ses divisions. En ce sens, la promotion et le soutien du sport peuvent jouer un rôle significatif dans la construction d'une paix durable et dans l'amélioration des relations communautaires. Les autorités ont mis en place un vaste système de surveillance et de sécurité pour prévenir toute attaque terroriste lors de la compétition, étant donné les menaces posées par les groupes terroristes maliens et burkinabés. Le système a prouvé son efficacité grâce notamment à des moyens logistiques de pointe et la géolocalisation de potentielles cibles afin de faciliter leur interpellation (13). En outre, un avion effectuant des tours de repérage et d’identification a survolé les stades du pays où se déroulait la compétition. Grâce à ce système de repérage et de surveillance massif notamment des portables, plusieurs réseaux auraient été démantelés peu avant la CAN.
La qualité des infrastructures est particulièrement scrutée pendant les CAN, et ce fut le cas en Côte d’Ivoire. Le stade Ebimpe qui comportait des failles a été révisé à temps et la qualité des pelouses a dans l’ensemble été saluée. La Côte d’Ivoire semble avoir réussi son défi sécuritaire d’organiser cette compétition sans accroc et renvoie l’image d’un État fiable et stable en Afrique de l’Ouest, qui aurait définitivement fermé la porte aux troubles que le pays a connus par le passé.